Lettre d’un citoyen à ses concitoyens :
Aujourd’hui, je ne sais pas encore pour qui je
voterai. Et l’argument de B.Delanoé me paraît fragile ; car pour moi
l’enjeu n’est pas seulement de faire barrage au Front National, mais plus
encore de choisir une personne et une équipe qui aura suffisamment et
positivement fait bouger les choses dans les cinq ans à venir, pour que le Front
National n’ait pas un boulevard dans 5 ans. De ce point de vue, à ce jour,
aucun candidat ne m’a encore convaincu qu’il est en situation de relever
ce défi. D’où ma gêne et mon incertitude.
C’est pourquoi, aujourd’hui, la priorité me semble
être de mettre le projecteur sur des sujets cruciaux, ignorés ou mal traités
par l’ensemble des candidats.
Sans prétendre à l’exhaustivité, j’en retiendrai
5 :
La fiscalité, très présente
dans la précédente campagne et si mal traitée dans celle-ci :
J’attendrais des candidats des projets forts en
matière d’’impôt sur le revenu : c’est un fondement de la cohésion
républicaine et le seul prélèvement progressif. Pour trouver de nouvelles
ressources, F.Fillon privilégie la TVA (plutôt dégressif) et E.Macron, la CSG
(proportionnel), alors que notre pays est celui où la part de l’impôt
progressif sur le revenu (IRPP) est la plus faible, et de loin, de la zone
OCDE. La gauche n’a eu de cesse de diminuer le nombre de français qui le payent
et E.Macron lui emboite le pas, en proposant que 80% d’entre eux ne paient pas
de taxe d’habitation (au lieu de mettre en place une indispensable refonte de
la fiscalité locale, en commençant par une actualisation des bases de la
fiscalité foncière, qui attend dans les cartons depuis des décennies). Cela
signifie, pour beaucoup de nos concitoyens, que l’argent qui finance les
services publics, au niveau national et local, tombe du ciel. Et dès lors les
appels à l’efficacité, à la responsabilité devant le SP risquent bien de
continuer d’être incantatoires. Une fois de plus, les candidats promettent de
s’attaquer aux niches fiscales, mais c’était déjà le cas lors de la précédente
législature, avec les résultats que l’on sait.
L’existence d’un taux unique sur les revenus de
l’épargne peut se défendre, comme une étape, à condition qu’ils concerne tous
les revenus, en particulier l’assurance-vie (ce que semble inclure le projet
Macron, mais pas Fillon) et les plus-values mobilières et immobilières, ce qui
implique impérativement qu’on revoit les abattements d’assiette (ce que
n’aborde aucun candidat). Si on révise en profondeur les abattements
d’assiette, cela peut légitimer la suppression de l’ISF : il est bien
préférable de prélever l’impôt sur le patrimoine, au moment où celui-ci devient
liquide.
L’autre grand absent est la fiscalité sur les
successions, alors que la concentration des patrimoines se poursuit, source de
rigidités croissantes dans la société française.
L’efficacité des services publics :
C’est E.Macron, qui aborde sans doute le plus le
sujet, mais cet enjeu mériterait plus de clarté et plus de force, et d’être
beaucoup plus présent chez les candidats qui font de la défense du service
public, une de leur priorité. Car le problème français est moins l’étendue du
service public (les français y sont attachés, pour une grande majorité), que
son efficacité (en avoir pour son argent). On n’avancera pas (ou si peu) dans
ce domaine, si on ne modifie pas, en profondeur, deux éléments :
-les règles de gestion financière : le
fondement de la gestion publique est encore la méfiance, avec la place
« structurante » de la direction du budget et des comptables publics.
Tant qu’on ne remettra pas en cause leur rôle, l’objectif de « donner la
priorité à ceux qui font » sera vain.
-les règles de gestion du personnel : la
France a le triste privilège d’être le pays de la zone OCDE, où les
affectations sont plus liées au statut qu’à la compétence, plus effectuées de
façon centralisée, que par le responsable opérationnel direct. Tant qu’il en
sera ainsi la priorité donnée aux « résultats » sera vaine. Ceci est
d’autant plus essentiel que l’extension des fonctions publiques, en France, est
extrêmement large (beaucoup plus, par exemple que dans les pays nordiques,
grands défenseurs du service public, dont une part importante est assurée pas
des salariés de droit privé), situation qu’il faudra faire évoluer
progressivement (E.Macron aborde le sujet).
J’ajouterai trois points spécifiques :
-la réforme territoriale : la discrétion des
candidats est grande sur le sujet, alors que c’est une grande source de
gaspillage d’argent public, pas seulement à cause du
« mille-feuilles » qui coûte et déresponsabilise ; mais aussi
parce-que l’organisation actuelle conduit à ce que le cadre de la décision
publique n’est souvent pas pertinent. On a encore beaucoup à faire en
matière de simplification et de clarification des compétences, avec, en
parallèle une refonte de la fiscalité locale.
-la santé : dans ce domaine, majeur pour les
conditions de vie des français et les finances publiques, il y a une grande
pauvreté des propositions. On peut se réjouir des multiples propositions qui
visent à améliorer la couverture des soins de base (en particulier par le
régime général, B Hamon), en rupture avec l’évolution de ces nombreuses dernières
années, de l’attention mise aux conditions de vie et n’environnement (cf
notamment B.Hamon), mais peu de choses sur l’organisation des soins, le
fonctionnement de l’hôpital, les traitements très coûteux et pourtant l’annonce
d’économies importantes (F.Fillon, E.Macron).
-pôle emploi : pourquoi nationaliser l’UNEDIC
(E.Macron), alors que le sujet central est le service rendu par pôle emploi,
outil public, qui souffre de tous les maux de la gestion publique.
Les banlieues :
C’est un sujet que je connais mal. Mais j’ai le
sentiment que la situation continue de se dégrader et que ces lieux concentrent
les problèmes d’identité, d’insécurité, d’emploi, de pauvreté et sont un
terreau pour le communautarisme et les extrémismes. Je pense que pour arrêter la
dégradation, pour renverser la tendance, il faut un effort massif, dans
de multiples domaines : sécurité, éducation, emploi, urbanisme et
logement, transport….Aucun candidat ne donne à ce sujet la priorité qui serait,
à mon avis nécessaire.
La famille :
Je l’ai souvent dit, il est navrant de laisser le
monopole de la « famille » à la droite. A un moment où beaucoup
s’interrogent sur notre identité, se plaignent des incivilités, de la perte des
repères, il est urgent de reconnaître et de valoriser le rôle de la famille, premier
lieu de construction de repères et espace de solidarité. Dans ce domaine, je
m’inquiète de la façon dont plusieurs candidats (B,Hamon, JL.Mélenchon et même
de façon plus atténuée E,Macron) balaient le caractère familial de l’impôt sur
le revenu. Je m’inquiète aussi du vide de la rubrique famille de leurs
programmes, que remplit l’objectif de proposer la PMA à toutes les femmes,
comme si c’était la priorité d’une politique de la famille.
La démocratie :
Tous les candidats proposent des mesures de
moralisation de la vie politique. On peut s’en réjouir.
Mais on doit s’inquiéter en revanche que bien peu
de propositions visent à rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le
parlement. Rien chez F.Fillon, qui, au contraire met en avant la nécessité de
légiférer par ordonnances ; ni chez E.Macron, qui, en revanche, propose
même de généraliser la procédure d’urgence ; une restriction du 49/3 chez
B.Hamon, mais rien sur la maitrise de l’ordre du jour par l’exécutif.
Cet effacement du Parlement au profit de l’exécutif
et d’abord du président de la république est lourd de conséquences. Il a
contribué à l’affaiblissement des partis, qui jouent un rôle fondamental dans
une démocratie : lieux d’élaboration politique, fondée sur le débat
interne ; lieu de sélection des dirigeants. La situation dramatique de
cette élection tient, pour partie, au fait que les partis démocratiques ne
jouent plus ce rôle. L’élection présidentielle devient une aventure
personnelle. Les candidats sont aujourd’hui soit des solitaires, qui
s’efforcent de cristalliser un « mouvement » autour de leur personne
(E.Macron¸ JL.Mélenchon), soit des vainqueurs de « primaires »,
contestés dans leur parti. Comment, dans ces conditions créer l’adhésion du
plus grand nombre, qui seule permet le changement durable.
Il faut espérer que quelque soit l’élu, il donnera
toute sa place aux élections législatives, en évitant d’en faire un référendum
autour de sa personne ; et surtout qu’il saura, tout au long de la
législature, redonner sa place aux partis, aujourd’hui discrédités, au
Parlement et au débat public.
Je ne sais pas pour qui je voterai, en tous cas pas
pour les candidats de la fermeture ; à cet égard l’ouverture d’E.Macron à
l’accueil des réfugiés est un élément positif.
J’espère que ces lignes, partielles et imparfaites,
contribueront à nourrir le débat public, les candidats et les élections
législatives qui suivront, qui seules peuvent donner les moyens de gouverner.
Pierre-louis Rémy