politique, fiscalité, modernisation de l'État, action publique, services publics, développement économiques, justice sociale, famille, responsabilité, solidarité, politique, fiscalité, modernisation de l'État, action publique, services publics, développement économiques, justice sociale, famille, responsabilité, solidarité, politique, fiscalité, modernisation de l'État, action publique, services publics, développement économiques, justice sociale, famille, responsabilité, solidarité,

15.1.23

A propos du projet de réforme des retraites.


Dans le dossier de presse de Matignon, on trouve un oubli qui interroge. On nous annonce 17,7 milliards d’économies en 2030 du fait des deux mesures, accélération de la réforme Touraine et passage à 64 ans de l’âge de référence pour partir en retraite.
Curieusement on ne connaît pas la répartition des 17,7 milliards entre ces deux mesures.
Pourtant ces deux mesures, génératrices d’économies reposent sur des logiques bien différentes.

L’accélération du passage à 43 ans de cotisation, pour bénéficier d’une retraite complète touche tout le monde et même un peu moins ceux qui ont commencé à travailler tôt, puisque ils ont déjà cotisé 43 ans ou plus quand ils atteignent 62 ans. Dans la mesure où le niveau de retraite est pour une large part lié aux cotisations versées, la durée de cotisation est au cœur de l’équilibre du système de retraite. Dès lors il n’est pas choquant qu’on fasse évoluer la durée de cotisation, compte-tenu de l’évolution de l’espérance de vie et du rapport entre les nombres des actifs et des retraités, à condition bien sûr de prendre en compte des situations spécifiques, en particulier la pénibilité de certains métiers.

Tout autre est l’impact du report à 64 ans de l’âge de référence pour le départ en retraite
Cette mesure touche essentiellement ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui ont des emplois assez peu qualifiés. A l’inverse, ceux qui ont commencé à travailler après 22 ans, qui donc, aujourd’hui, ne pouvaient toucher une retraite complète qu’à partir de 64 ans, seront fort peu concernés par la réforme. Et il est à craindre que les mesures spécifiques avancées par le gouvernement pour prendre en compte la pénibilité, atténuer l’effet de la réforme sur ceux qui ont eu des carrières longues, n’ait qu’un impact limité. Sinon comment comprendre que le passage à 64 ans génère des économies.

Il est donc essentiel de connaître la part des 17,7 milliards qui correspond au déplacement de l’âge de référence du départ en retraite, car ce montant traduira l’effort spécifique demandé aux salariés ayant commencé à travailler jeunes, ayant souvent des métiers modestes. On pourra alors juger de la pertinence de l’expression de la première ministre qui samedi dernier affirmait que « les plus modestes seront « les moins concernés » par le report de l’âge de départ.

 



 



19.8.22

A propos du pouvoir

 

mise en forme d'un exposé fait lors d'un séminaire de médiateurs

 


1-J’aime le pouvoir.

Le pouvoir est aimable. Il est plus nécessaire de le connaître que de le craindre.

Depuis toujours, ou presque, je suis intéressé par la politique, qui est une forme centrale (même si ce n’est pas la seule) d’exercice du pouvoir. Dès tout petit je rêvais de « changer le monde », et en particulier de réduire les inégalités, dont j’avais fait l’expérience dans mon enfance, issu d’un milieu modeste, mais habitant un quartier privilégié de l’ouest parisien. J’avais l’idée, un peu naïve, je le concède aujourd’hui avec du recul, que le pouvoir d’Etat était le levier central pour atteindre cet objectif.

Dès l’âge de 11 ans, je lisais le journal « le monde » ; je me rappelle la une du journal le 13 mai 1958. Je rêvais d’être président de la République, et j’ai d’ailleurs toujours un peu de regret de ne pas l’avoir été. Dès mon plus jeune âge je déclamais, à haute voix, dans les WC, les discours que je pourrais prononcer, une fois élu.

C’est donc bien naturellement qu’après l’X, que j’ai fait parce-que j’aimais les maths, je me suis orienté vers l’ENA, renonçant à la recherche en mathématiques qui me tentait aussi.

C’est ce qui m’a conduit à fréquenter, à exercer le pouvoir, ou en tout cas à y participer, car on l’exerce rarement tout seul, dans la haute administration et l’univers politique, mais aussi, moins longtemps, il est vrai, à la direction générale d’entreprises.

 

2-Le pouvoir n’est pas toujours où l’on pense :

Pour illustrer cette proposition, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’est le pouvoir. Sans du tout, à ce moment, chercher à approfondir ce concept, il faut faire la différence entre le statut qui est en général associé au pouvoir, honneurs, facilités matérielles, argent… d’une part, et l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire la détention d’une capacité de puissance, de décision, de contrainte, qui permet, à des degrés divers, d’agir, de faire évoluer ou, à l’inverse, de bloquer tout changement.

Il y a des détenteurs du pouvoir qui aiment le statut qu’il confère, la voiture avec chauffeur, la considération de l’entourage, l’aisance financière, mais qui répugnent à l’exercer. Car toute décision est une prise de risque. Et ceux-là n’aiment pas le risque. Ils sont plus nombreux qu’on ne le pense. Une de leur expertise, notamment dans le monde politique, est la gestion des échéances : ne plus être là, au moment critique, quand vient le moment des explications ou des décisions difficiles.

Comme l’ont largement montré des sociologues, certains membres d’une organisation ont beaucoup plus de pouvoir que ne le laisserait supposer leur place dans l’organigramme, beaucoup plus que les détenteurs formels. Ainsi en 1971, jeune stagiaire de l’ENA dans les Côtes d’Armor, j’avais proposé au préfet de l’époque, dans les premières semaines après mon arrivée, un argumentaire pour améliorer la part de notre département dans le partage de l’enveloppe des crédits régionaux, à la disposition du préfet de région. Mes arguments avaient convaincu et, fait rare, la répartition avait été modifiée. Le préfet m’avait alors pris en très haute estime. Et je parcourais le département avec lui, très forte personnalité, homme de terrain plus que de dossier. Rapidement le bruit se répandit que pour atteindre le préfet, il valait mieux passer par moi, que par le secrétaire général, avec lequel il ne s’entendait pas. Et c’est ainsi que je rencontrais beaucoup d’acteurs économiques locaux, à qui je présentais ma manière de voir les choses. Ils savaient qu’être de mon avis était souvent de bon augure, quant à la décision du préfet ; et que j’étais une bonne porte d’entrée pour ceux qui souhaitaient le rencontrer. Dépourvu de tout pouvoir formel, j’en avais, de fait, plus que le secrétaire général, N°2 de la préfecture. De même, quelques années plus tard, directeur général adjoint du Crédit mutuel d’Ile de France, j’avais la plus grande autonomie d’action, car j’avais été recruté, non pas par le directeur général de la société, mais par Théo Braun, le président de la puissante fédération d’Alsace-Lorraine et de la confédération nationale du Crédit mutuel, pour redresser la situation difficile de l’Ile de France.

On surestime souvent le pouvoir réel des ministres, en tous cas, celui de nombre d’entre eux. Car presque tous les sujets mettent en jeu plusieurs ministères, et notamment le ministère des finances, parce qu’elles ont une incidence financière. La décision relève donc du Premier Ministre (ou du président de la République), dans le cadre d’un processus interministériel. Le ministre annonce, en général, non pas ce qu’il a décidé, mais ce qui est la conclusion d’un processus collectif, à laquelle il adhère plus ou moins fortement. Les commentaires de Nicolas Hulot, los de sa démission, sont une illustration, parmi d’autres, de cette situation.

Le pouvoir n’est pas proportionnel à la quantité de décisions prises. Quand j’étais conseiller social du Premier ministre, au début des années 90, des décisions j’en ai pris d’innombrables sur des sujets apparemment techniques, mais qui touchaient à la vie de milliers, parfois de millions de gens. Dans mon « portefeuille », il y avait notamment, la fonction publique, la santé, le logement…, beaucoup d’éléments constitutifs de la vie quotidienne. Ainsi, par exemple, j’ai fixé le numerus clausus des étudiants en médecine pour 1992, l’évolution des barêmes des aides au logement pour la même année, et de très nombreux ajustements dans les grilles de rémunération, les primes de certaines catégories de fonctionnaires, tout cela étant inscrit dans les fameux « bleus de Matignon » qui consignaient les arbitrages du Premier Ministre.

Comment cela se faisait-il ? C’était la conséquence de ce que j’ai évoqué, il y a un instant : une grande part des décisions de l’Etat sont prises au niveau du Premier Ministre. Le principe est simple et cohérent : c’est le premier ministre, chef du gouvernement, (en lien plus ou moins étroit avec le président de la république) qui arbitre entre les positions des différents ministères concernés par un sujet. Mais les journées du premier ministre n’ayant que 24 heures, il n’est pas, physiquement, en mesure d’intervenir chaque fois que son arbitrage est sollicité. Ce rôle est donc, implicitement délégué aux membres de son cabinet, sauf si un ministre insatisfait réclame l’intervention directe du premier ministre ; ce que le ministre ne peut faire systématiquement, et qu’il réserve aux sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur ou aux situations où la décision envisagée par les conseillers du premier ministre lui est manifestement trop défavorable. Pour garder la « maitrise » d’un dossier, ces conseillers ont donc tendance à prendre des décisions de « juste milieu », satisfaisantes pour personne, mais qui ne provoqueront pas de remise en cause au niveau supérieur, en un mot des décisions assez conservatrices.

C’est pourquoi, malgré le grand nombre de situations où « j’ai décidé », je n’ai pas le sentiment d’avoir réellement pesé sur les choses pendant mon passage à Matignon. Sur aucun sujet, sauf à la marge, je peux dire que « si je n’avais pas été là, cela aurait été différent ». Dans le lieu central du pouvoir d’Etat où je me trouvais, j’ai rétrospectivement le sentiment d’avoir exercé peu de pouvoir, au sens où je l’entends, c’est-à-dire capacité de faire changer les choses, dans la ligne de ses convictions.

J’étais devenu une machine à prendre des décisions ; une machine, c’est-à-dire un objet mécanique. Sous la pression incessante des dossiers à traiter, je ne prenais plus le temps de la réflexion, du recul, de la mise en perspective. Et je crains que ce n’ait été le lot de d’un grand nombre de mes collègues.

Paradoxalement j’ai le sentiment d’avoir plus exercé le pouvoir dans des moments de ma vie plus discrets.

J’ai parlé tout à l’heure de mon expérience de stagiaire de l’ENA, dans les côtes d’Armor. Cinq ans plus tard, en 1976, alors que j’étais un très jeune fonctionnaire, le premier ministre Jacques Chirac souhaite mettre en place un plan de relance par l’investissement. Je souffle à l’oreille de mon directeur, Pierre Cabanes, que ce plan pourrait avoir un volet « investissement dans les conditions de travail ». Je rédige, à sa demande, quelques lignes d’argumentaire. Le fonds pour l’amélioration des conditions de travail, doté alors de 24 millions de francs (ce n’était pas rien à l’époque) était né. Et il existe toujours.

Le pouvoir n’est-il pas là, dans la possibilité de faire bouger les lignes, souvent en toute discrétion.

Comme délégué interministériel à la famille, 20 ans plus tard, dans un contexte différent, parce qu’alors j’étais dans une position d’autorité, j’ai eu aussi le sentiment d’une certaine capacité de pouvoir.

J’ai par exemple réussi à faire aboutir une très grande réforme des aides au logement, avec une hausse de 7 milliards de francs de leur budget. Je n’avais qu’une légitimité partielle à traiter du sujet, le logement est un élément essentiel des conditions de vie des familles. Mais c’était le ministère du logement qui était, à titre principal, responsable. Depuis près de 20 ans, il n’avait pu faire que des réformes marginales, compliquant et rendant incompréhensibles ces aides, du fait de l’emprise qu’exerçait sur lui, le ministère des finances.

Quand j’ai manifesté mon souhait de voir améliorer en profondeur le système d’aide, les responsables du ministère du logement m’ont regardé avec un scepticisme un peu condescendant. J’ai persévéré en dessinant les contours de la réforme que je souhaitais, grâce à un modeste tableau excel, élaboré par un des membres de mon équipe, qui dans le passé avait travaillé sur le sujet. Voyant que je ne lâchais pas prise, le ministère des finances a mis en avant un contre-projet, qui reprenait certains principes que j’avais mis en avant, mais au prix d’une diminution sensible des aides pour certaines catégories de personnes, afin que la réforme ne coûte pas. C’était au moment où les rentrées fiscales étaient bonnes : une « cagnotte » était à redistribuer, sous forme de baisse d’impôts. Mais que redonner à ceux qui n’en payaient pas. En plaidant auprès de Matignon que « les pauvres sont ceux qui touchent les aides au logement » et que donc ma réforme est une bonne façon de les faire profiter de la « cagnotte », j’obtiens une décision du premier ministre Lionel Jospin, favorable à mon projet. A ce moment j’ai vraiment eu le sentiment d’avoir fait bouger les choses, « d’avoir du pouvoir », grâce à trois ingrédients : la cohérence (du projet), mon réseau, qui m’a permis de chercher et trouver des alliés ; et bien sûr…les circonstances.

Je citerai un deuxième exemple, de la même époque et relatif à l’organisation de l’accueil de la petite enfance.

Depuis 1986, douze ans avant mon arrivée à la tête de la délégation interministérielle à la famille, un projet de décret était en chantier, pour améliorer les conditions de fonctionnement des lieux d’accueil de la petite enfance, en premier lieu les crèches. L’ambition générale du texte visait à renforcer leur dimension éducative, les aspects sanitaires étant jusque-là prévalents. Le texte prévoyait notamment d’ouvrir la direction des petites crèches, jusque-là monopole des infirmières puéricultrices, aux éducatrices de jeunes enfants, en cohérence avec son ambition éducative. C’est ce point qui faisait question et conduisait à ce que le projet n’aboutisse jamais : la remise en cause d’« une chasse gardée » d’une catégorie professionnelle, invitée à partager avec une autre, dont le diplôme, de surcroît, demandait moins d’années d’études, ce qui « naturellement » signifiait « moins de compétences ». Chacune de ces deux professions était sous la houlette d’une direction différente du ministère des affaires sociales, direction générale de la santé pour les puéricultrices, direction générale de l’action sociale pour les éducatrices de jeunes enfants. Et celles-ci se livraient une lutte féroce pour maintenir l’existant, ou pour le faire bouger, relayées par leurs correspondants au cabinet du ministre ; ce qui expliquait le statu quo.

En réunissant les représentants de chacune des deux directions, j’avais, par mon arbitrage, permis d’aboutir à un texte unique. Mais je ne pouvais décider seul ; car il s’agissait d’un décret, à la signature donc des ministres et du premier ministre. Comment, dès lors éviter que mon travail ne soit défait, dès qu’il arriverait au niveau du cabinet du ministre, où, de façon probable les représentants de chacune des deux directions auraient, sans nul doute, repris leur affrontement, ce qui risquait, à nouveau d’empêcher tout progrès. J’ai envoyé le projet de texte à Martine Aubry, la ministre dont je dépendais, que je connaissais très bien, avec la mention « sans réponse de ta part dans les huit jours, je mets le texte en consultation publique » ; ce qui arriva, puisque mon envoi ne comportait, délibérément, aucun signalement particulier, qui aurait pu attirer l’attention d’une ministre à l’emploi du temps submergé. De cette façon le texte, rendu public, devenait beaucoup plus difficile à enterrer. Recevant la présidente de l’association des puéricultrices, j’ai eu la surprise de l’entendre dire : si vous maintenez le texte en l’état, c’est-à-dire si vous permettez l’accès des éducatrices de jeunes enfants à la direction des crèches, « nous mettrons le pays à feu et à sang ». Que pouvais-je lui répondre, sinon cette invitation « faites ».

Il ne s’est bien sûr rien passé. Et le décret a été signé le premier juillet 2000, sans modification, par le premier ministre Lionel Jospin 14 ans après sa mise en chantier. Là aussi, j’ai eu le sentiment « d’exercer un pouvoir ».

Je citerai un dernier exemple, plus récent. J’étais en retraite, sans aucune fonction donc, sans aucun pouvoir…apparent. Je rencontre en Savoie, où j’habite, une famille de kosovars, les parents et 5 enfants. Toutes les demandes d’asile et les recours avaient échoué et la famille était soumise à une obligation de quitter la France, sans délai. Que puis-je faire ?

J’ai recherché sur internet, la liste des préfets en poste. Et j’en ai trouvé un, un seul, préfet de région, qui avait travaillé avec moi, 20 ans auparavant. Je l’ai appelé, lui ai exposé la situation et demandé qu’il me facilite l’accès au préfet de Savoie, seule autorité pouvant faire évoluer la situation. Cinq minutes plus tard il me rappelait avec ce message « le préfet de Savoie est prêt à vous écouter ». Le problème a été réglé.

 

De ces souvenirs, je tire quelques leçons.

Le pouvoir n’appartient pas forcément à ceux qui sont le plus visibles. La décision est en général le produit de l’interaction de multiples forces. Et les plus actives, les plus efficaces ne sont pas forcément celles qui sont le plus à la lumière. Combien « d’hommes de l’ombre (et de femmes)» agissent pour bloquer ou pour pousser une décision. C’est d’ailleurs sur ce registre qu’interviennent les innombrables lobbyistes et leurs commanditaires, les « visiteurs du soir ».

Le pouvoir s’appuie bien souvent sur des réseaux explicites ou informels, qui génèrent entre leurs membres complicité, connivence, alliances. C’est le fait d’être membre d’un même corps, dans la haute administration et aussi dans la moins haute ; le passage par une même école, une même entreprise ; une communauté d’appartenance, idéologique, religieuse, familiale, politique…  Cela se construit et se nourrit. Je me souviens, par exemple, qu’en 1981, François de Grossouvre, le directeur de cabinet de François Mitterrand, organisait des déjeuners entre les jeunes membres de cabinet « les plus prometteurs » de la nouvelle équipe gouvernementale…pour qu’ils créent des liens entre eux.

 

3-Les sources du pouvoir :

Qu’est ce qui engendre l’exercice du pouvoir ? quelles sont les sources du pouvoir. Elles sont multiples, explicites, reconnues ou non ; légitimes ou non.

C’est d’abord un mandat de la part de la personne ou de l’entité, de niveau supérieur qui possède la légitimité.

Ainsi l’article 3 de notre Constitution affirme : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Le pouvoir de tous ceux qui exercent des fonctions publiques, politiques ou administratives découle de ce principe. Le président, les parlementaires, les maires…reçoivent, par l’élection, un mandat, qu’ils peuvent ensuite, sous certaines conditions déléguer, à des ministres, des fonctionnaires…En effet, dans les démocraties, c’est le vote de chacun, à égalité, qui conduit à  définir le bien commun, avec des ajustements et des corrections au fil des alternances, et avec les « garde-fous » que constituent les textes de principe, déclaration universelle des droits de l’homme, principes généraux du droit, constitution. Il n’est pas sûr que, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, les démocraties, et notamment la nôtre, assument correctement cette fonction fondamentale d’élaboration du bien commun

Dans l’entreprise les dirigeants reçoivent mandat des actionnaires, c’est-à-dire des possesseurs du capital, qui aujourd’hui sont considérés, dans notre pays, comme seuls légitimes à fonder le pouvoir de direction. Je l’ai expérimenté à BPI dans les années 2000. C’est l’actionnaire très majoritaire qui m’avait fait venir. J’avais une légitimité forte. Et j’ai vraiment exercé le pouvoir. Le jour où l’actionnaire m’a retiré sa confiance, je suis parti sans délai et sans regret. Parce que sans cette confiance de l’actionnaire, il est impossible de diriger vraiment.

C’est la source la plus simple et la plus explicite du pouvoir. Mais il y en a bien d’autres.

Le savoir : la crise du covid a bien illustré le poids des « sachants », sur l’opinion publique, les médias, le gouvernement faisant par ailleurs référence, dans ces décisions, à l’état de la science, défini par un « conseil scientifique » et une « haute autorité de santé ». La décision formelle n’appartient, en général, pas aux scientifiques ; mais comme il est difficile au décideur de s’écarter de leur avis. Car la science est, aux yeux de beaucoup, censée « dire le vrai ». Or, si on peut lui reconnaître une capacité de dénoncer le faux, il faut être d’une grande prudence quant à la démonstration du vrai : la science est l’univers du doute, de la controverse. Et derrière les débats scientifiques se cachent souvent, de lourds enjeux financier, auxquels les scientifiques ne sont pas toujours indifférents… Les exemples sont nombreux, en particulier dans ce qui touche à la santé humaine, parce-que la sensibilité de chacun y est particulièrement grande, mais aussi parce-que le savoir sur le fonctionnement humain est encore bien modeste, , malgré les apparences et malgré l’assurance parfois arrogante de certains « professeurs ». Les controverses sur le glyphosate et les pesticides de synthèse en sont une illustration, parmi bien d’autres.

Le simple fait d’être perçu comme un sachant, comme un expert donne du pouvoir. Et la tentation existe chez certains de légitimer le pouvoir par le savoir…en oubliant cette remarque si juste de Paul Ricoeur : « sur les choses essentielles, les experts n’en savent pas plus que vous ».

Plus diffus, plus impalpable, mais non moins réel, le statut est une source de pouvoir. Combien de fois ai-je fais l’expérience que la mention de mon cursus d’études et professionnel m’ouvrait des portes, qui étaient fermées à d’autres. Récemment encore, le sous-préfet de St Jean de Maurienne qui avait refusé de recevoir sur un sujet d’environnement, la présidente de l’association concernée directement, m’a ouvert ses portes, au seul énoncé de mes passages en cabinet ministériel. Comme il est difficile, quand quelqu’un exprime un point de vue, de ne l’évaluer qu’au regard de son contenu propre, et non de sa place dans la société. Combien nombreux, par exemple, sont ceux qui accordent une présomption de « dire le vrai » au journaliste, au dirigeant économique ou politique, à l’expert, à l’influenceur…Ce qui conduit certains à dépenser beaucoup d’énergie pour conquérir, parfois seulement en apparence, un statut.

Indissociable du statut, parce qu’il en est à la fois une source et un effet, le réseau est un levier très important de pouvoir, sous-estimé souvent. Je l’ai illustré dans certains propos qui précèdent.

L’argent est naturellement une source très forte de pouvoir. Souvent l’un et l’autre sont associés. L’argent donne du pouvoir. Le pouvoir, bien souvent, enrichit. Il ne s’agit pas seulement du pouvoir de l’actionnaire que nous avons évoqué plus haut, ni du pouvoir du client.

L’argent donne du pouvoir souvent simplement par le statut qu’il confère à celui qui en possède. Mais surtout, parce-que les humains aiment l’argent, celui-ci est un appât, et les manières de s’en servir, pour celui qui en possède, sont innombrables. J’ai été moi-même témoin dans ma vie professionnelle de ces tentatives de corruption implicites, qui créent un lien, une dépendance : dès le début de ma vie professionnelle, un billet d’avion proposé par le DRH d’un grand groupe industriel, alors qu’il m’était par ailleurs remboursé ; un peu plus tard, quand j’étais en cabinet ministériel une soirée au Lido proposée par un industriel, qui, je l’ai appris ensuite, cherchait des connexions avec l’administration…Et ces innombrables actions de « sponsoring » qui sont des façons pour ceux qui les financent d’exercer leur influence. Ce n’est là que la face visible de l’iceberg. De l’argent circule dans les lieux de pouvoir, implicitement ou explicitement. Sans parler de ces adhérences qui parfois facilitent les carrières professionnelles.

La force: J’ai gardé en mémoire ce passage de Faust, étudié au lycée, où Goethe fait dire à son héros: « Im Anfang war das Wort », puis, un peu plus tard : « Im Anfang war die Tat » et enfin « Im Anfang war die Kraft » exprimant, dans une sorte de gradation, ce qui est à la source, au commencement : « la parole » ; « l’action » ; et en définitive « la force ». Et je me souviens aussi de cette phrase confiée au jeune fonctionnaire que j’étais, dans les premières semaines de ma vie professionnelle, par le directeur général du ministère : « le pouvoir, ça se prend ». Le pouvoir est non seulement capacité d’agir ; il est aussi domination et contrainte. Il est la résultante d’un rapport de forces. La prise du pouvoir passe en général par des batailles, chacun en a l’expérience : et pour moi, elle a commencé aussi à l’ENA, où, délégué des élèves, j’ai organisé une grève des épreuves qui a débouché sur des changements de position de l’administration et donc sur une « victoire ». Plus largement l’histoire est dominée par les luttes de pouvoir, qui engendrent les guerres. Nous le vivons très concrètement aujourd’hui, en Ukraine.

De ce point de vue la conquête du pouvoir est souvent prise de risques, car lorsqu’on engage une bataille, on n’est pas sûr de la gagner.

Il est une force particulière, qui peut, paradoxalement, donner un grand pouvoir : la faiblesse. C’est le cœur de la démarche des non-violents, si bien illustrée par cette parole de Martin Luther King : « à ta force de meurtrir, je répondrai par ma force de souffrir ».

Et dans le prolongement de cette approche, me vient à l’esprit, ce pouvoir si merveilleusement décrit par Vassili Grossmann, dans son œuvre monumentale, « vie et destin », le pouvoir de la bonté.

Et, en définitive, une source de mon pouvoir réside dans ce que je suis. Bien sûr, mon pouvoir est lié à ma fonction, à mon statut, à mon savoir, à mon argent, à ma capacité de puissance. Mais il dépend, au-delà de tout cela, de ce que je suis, de ce qui rayonne de moi ; c’est peut-être ce qu’on appelle « l’autorité ». Et la plus grande hypocrisie, c’est de ne pas reconnaître le pouvoir que l’on a.

 

4-L’exercice du pouvoir ; la décision.

Une décision, dans la plupart des cas, met en cause des intérêts ou au minimum bouscule des habitudes. Décider demande donc du discernement, de la pédagogie, mais aussi, et c’est souvent ce qui manque, du courage. Ce n’est pas par hasard, qu’en exergue du premier livre que Martine Aubry et moi avons écrit ensemble, « le choix d’agir », nous avions choisi de mettre cette phrase du philosophe Vladimir Jankélévitch « il faut commencer par le commencement ; et le commencement de tout, est le courage ».

Toute ma vie professionnelle m’a mis dans des positions de pouvoir et en interaction avec des pouvoirs, que ce soit dans les postes de direction que j’ai occupés ou dans mes fonctions en cabinet ministériel, mais aussi de façon plus implicite, mais non moins réelle dans de nombreuses situations de conseil ou d’influence, qui ont jalonné mon existence.

Le pouvoir on l’exerce, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, quand on est patron. Cela m’est arrivé quatre fois dans ma vie professionnelle, à la fin des années 70 au crédit mutuel d’ile de France, dans les années 80 à l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), à la fin des années 90 comme délégué interministériel à la famille et dans les années 2000, au sein du cabinet de conseil BPI. J’étais directeur général ou membre de la direction générale avec beaucoup d’autonomie et des pouvoirs, des capacités d’action, étendus. Je recrutais, dépensais, signais des contrats, décidais de l’organisation… ; plus en profondeur je proposais une vision et m’efforçais d’y faire adhérer les collaborateurs. Cela a été des moments riches, dont je retiens plusieurs leçons.

La première c’est l’équipe. On n’exerce pas le pouvoir tout seul. Si on est souvent solitaire dans le moment ultime de la décision, c’est en équipe qu’on prépare et qu’on élabore ; c’est en équipe qu’on met en œuvre. Faire équipe, c’est construire de la confiance ; confiance dans ses collaborateurs, ce qui peut impliquer de leur confier des fonctions et des responsabilités qu’on exercerait mieux qu’eux ; confiance des collaborateurs dans leur patron, du fait du projet qu’il porte et des valeurs personnelles qui l’animent ; confiance des collaborateurs parce qu’on leur fait confiance, qu’on leur donne les moyens d’agir et qu’on les fait grandir.

J’ai toujours eu le souci de faire exister une équipe de direction autour de moi ; avec ceux qui étaient déjà présents, en priorité, quitte à les faire changer de fonction ; avec des nouveaux aussi ; en évitant ce travers qui nous menace tous : s’entourer de ses semblables. Des compétences, des sensibilités, des personnalités diverses, c’est plus difficile à gérer ; les risques de tensions, d’affrontements sont plus grands. Mais quelle richesse ! Quand viennent les problèmes, la diversité des points de vue est une garantie ; le risque de passer sous silence un aspect, d’occulter une conséquence est moindre. En un mot, on a plus de chances de faire le tour du sujet et de bien décider.

Les différences n’empêchent pas de partager une vision commune. C’est une responsabilité centrale du patron que d’avoir cet objectif pour son équipe de direction : proposer et faire partager une vision. Cela peut prendre du temps et demander de l’énergie, comme j’en ai particulièrement fait l’expérience à l’ANACT, quand j’ai pris la direction en 1982 de cet établissement, profondément divisé et en plein doute sur sa mission. Mais ensuite, quel confort dans la prise de décision ; non parce-que tous mes collaborateurs directs pensaient la même chose, bien au contraire. Mais parce-que la vision partagée était le « juge de paix » qui permettait les arbitrages.

Une décision, en effet, ne s’impose jamais d’elle-même. Sinon c’est une évidence, dont il suffit de prendre acte. Décider, c’est choisir une direction avec les potentialités qu’elle renferme, mais aussi les risques qu’elle comporte ; plutôt qu’une autre, qui comporte aussi du positif et du négatif. Choisir c’est renoncer. Et choisir une voie plutôt qu’une autre c’est donner la priorité à un critère d’appréciation par rapport à un autre. Et c’est le cap qu’on s’est donné, la vision partagée, qui permet d’expliquer la priorité donnée à un critère et les raisons qui mettent les autres au second plan.

5-La légitimité du pouvoir :

Avant d’essayer d’éclairer ce sujet, force est de constater que le pouvoir est partout ; dans la famille : relation d’autorité parents enfants, mais aussi parfois emprise des enfants sur l’un ou l’autre parent, rapport de forces entre frères et sœurs, même au plus jeune âge ; à l’école ; dans la vie professionnelle, rapport hiérarchique formalisé, mais aussi rapport de forces implicites avec des collègues, voire des supérieurs ; dans un couple, jusqu’au déséquilibre extrême de l’emprise, dans la cité, dans une équipe sportive…Y a-t-il une relation dénuée de tout rapport de pouvoir ? visiblement, ou de façon plus cachée, par la peur, la séduction…

Depuis longtemps je suis habité par le récit biblique de la tentation de Jésus au désert. Ce qui est mis en avant par le tentateur, c’est d’abord la possession, puis la domination, enfin l’égo. N’y a-t-il pas au plus profond de chacun de nous, ces aspirations, ces ressorts, qui sont différentes facettes du désir de pouvoir. Et c’est peut-être pour cela que l’exercice du pouvoir, réel, et même apparent procure une jouissance, jamais assouvie et agit sur les esprits comme une drogue. Il y a une addiction dans l’exercice du pouvoir, dans la domination.

Plus on a de pouvoir, plus on doit y être attentif, au risque sinon de n’avoir comme seule perspective que le faire grandir, comme l’illustrait si clairement Bertrand de Jouvenel, dans un livre publié au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et qui m’avait beaucoup marqué au moment où je me préparais à faire l’ENA : « du pouvoir : histoire naturelle de sa croissance ».

Y a-t-il d’autre antidote à cette drogue que la bonté, « l’agapé », long chemin intérieur, jamais achevé.

Car méfions-nous : on doit bien sûr faire la différence entre le pouvoir exercé pour soi, pour défendre ses intérêts personnels, pour dominer l’autre ; et le pouvoir en vue d’une finalité, qui dépasse sa propre personne et qu’on considère comme bonne, dans la direction d’une entreprise, d’une association, dans une fonction politique, religieuse…, la légitimité étant alors fondée sur les objectifs de l’organisation dans laquelle on exerce l’autorité. On peut se rassurer en ayant la conviction que si on exerce le pouvoir, « c’est pour faire le bien ». 

Dans ce livre magnifique, que j’ai déjà cité, Vie et Destin, où sous couvert de nous raconter la vie d’une famille russe au temps de la bataille de Stalingrad, Vassili Grossmann se livre à une critique impitoyable du nazisme et du stalinisme, en soulignant leurs convergences, il relève que l’objectif affiché des dirigeants de l’URSS et de l’Allemagne était de « faire le bien » de leurs peuples. Au fil de l’histoire, combien de massacres, de destruction, de malheurs, au nom du bien. Et peut-être, dans nos histoires personnelles aussi.

Et c’est dans ce contexte que Vassili Grossmann oppose au « Bien », la Bonté : « C’est ainsi qu'il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté humaine dans la vie de tous les jours. C'est la bonté d'une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c'est la bonté d'un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d'un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C'est la bonté de ces gardiens de prison, qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de détenus adressées aux femmes et aux mères.
« Cette bonté privée d'un individu à l'égard d'un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social.
« Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée, occasionnelle, sans idéologie, est éternelle. Elle s'étend sur tout ce qui vit, même sur la souris, même sur la branche cassée que le passant, s'arrêtant un instant, remet dans une bonne position pour qu'elle puisse cicatriser et revivre.

Cela doit-il nous conduire à discréditer tout pouvoir`, à renoncer à l’exercer ?

Je ne le crois pas ; car le pouvoir est nécessaire au fonctionnement de la société. Dans toute organisation, même les plus « autogestionnaires », il existe des modalités d’exercice du pouvoir, des mécanismes d’arbitrage, des décisions à prendre, qui s’imposent, une fois prises. Et, comme je l’ai souligné, il y a quelques minutes, le pouvoir est partout. Il faut accepter de le voir où il est, de l’exercer et même, si nécessaire, de le conquérir.

Mais, il faut s’efforcer de le vivre comme un service, non pas une possession, mais un don : immense ascèse, jamais accomplie, mais dont le monde a besoin et dont le premier ferment est l’humilité.

Conclusion :

Le pouvoir est paradoxe :

Fascine et repousse

Désiré et craint

Nourriture de l’ego, toujours plus affamé, centré sur soi, ayant pour seul repère, son propre intérêt, mais aussi service nécessaire pour le fonctionnement de la société, pour le bien commun.

En chacun de nous se mêlent ces deux facettes. La première est spontanément présente. La deuxième émerge, plus ou moins, au fil du temps à mesure qu’apparaît ce repère que maman illustre si bien et que nous avons chanté lors de ses obsèques : « il restera de toi ce que tu as donné ».

 

 

 

 

18.4.22

double impasse

 

Double impasse

 

Le premier tour de l’élection présidentielle vient de s’achever. Les douze candidats ont rivalisé de promesses ; moins d’impôts, plus de pouvoir d’achat. Les deux finalistes nous promettent des lendemains qui chantent.

Le premier affiche sa confiance dans la science, le progrès technique et la croissance, dont les dividendes devraient profiter à tous. La seconde nous propose le repli sur soi, en nous faisant croire que « l’autre » est la cause de tous nos maux. Il suffirait de s’en débarrasser pour que tout s’arrange.

Quant aux mesures économiques proposées, mis à part la retraite à 65 ans affichée par E. Macron, sur laquelle on sent d’ailleurs un flottement, les programmes ne comportent que de bonnes nouvelles : suppression de la redevance télé, prime exonérée d’impôts et de cotisations, allègement de la fiscalité sur les successions, diminution de la fiscalité des entreprises, accroissement du minimum de pension… ; et pour être sûr de ne pas manquer d’énergie, la multiplication des EPR.

Pour les deux candidats, dans le domaine économique, il s’agit, en gros, de « continuer comme avant ». Aucun d’eux, ne laisse entrevoir que notre modèle de développement est peut-être à bout de souffle. Et à quelques nuances près, l’observation vaut pour l’ensemble des candidats. Peut-être sont-ils convaincus. Peut-être s’interrogent-ils au fond d’eux-mêmes mais n’osent pas sortir de cette logique du « toujours plus », qui depuis longtemps nourrit les campagnes électorales.

A de rares exceptions, liées à des chocs externes, notre richesse globale, le PIB et notre richesse par tête augmentent régulièrement depuis des décennies. Et pourtant l’accès aux besoins fondamentaux est toujours refusé à une partie de nos concitoyens. Pire : dans certains cas il se dégrade.

Par exemple, se loger en centre-ville est devenu inaccessible financièrement pour un grand nombre, dans les grandes métropoles, sauf à disposer d’un héritage, qui permet de constituer un substantiel apport personnel. Beaucoup de personnes sont donc obligées d’habiter loin des centres, dans des lieux mal desservis par les transports en commun ou dans des banlieues désertées par les services publics. Et malgré cette situation, le nombre de logements mis en chantier ces dernières années a baissé sensiblement.  Le sujet est presque absent du débat des élections présidentielles.

Pour changer le cours des choses, il faudrait accepter de remettre en cause la rente foncière qui a conduit à une hausse démesurée du prix des terrains et des logements, et donc des gains démesurés de ceux qui les possèdent, dans les lieux « bien situés », remettre à plat la fiscalité de l’immobilier, combattre le malthusianisme de tous ceux qui ne veulent pas qu’on construise près de chez eux…En un mot il faut du courage.

De même la qualité et la disponibilité des services de santé diminuent ; le vieillissement de la population génère des besoins nouveaux, mal couverts; le système éducatif, condition de l’égalité des chances, ne s’améliore pas, au contraire ; avec des résultats chaque année plus dégradés sur la maitrise, par les écoliers, des savoirs fondamentaux et une inégalité insupportable dans les conditions de prise en charge des élèves, à tous les niveaux, de la maternelle à l’enseignement supérieur.

Bien sûr, dans ces domaines, il y a des améliorations importantes à faire dans l’organisation et le fonctionnement. Il y a des corporatismes à mettre en cause, des responsabilités à clarifier ; un poids des services administratifs, excessif ; une centralisation et un souci d’uniformisation qui génère la paralysie, plutôt que l’égalité ; un management plus soucieux de conformité que de résultats. Tout cela doit être traité ; et ne l’a pas été. Il y a des économies à faire, des gaspillages à supprimer, mais aussi des moyens supplémentaires à affecter.

Il en va de même pour le service public de la justice, celui de l’emploi…

Nous avons de plus en plus besoin de biens publics, pour permettre à tous de vivre correctement et en sécurité. Sinon ce sera le privilège d’une minorité, comme dans beaucoup de pays, où grâce à l’argent, on s’assure les services dont on a besoin.

Mais plus de biens publics signifie plus de ressources publiques, donc plus d’impôts. Qui a le courage de le dire. Et qui a le courage d’expliquer que l’impôt sur le revenu parce qu’il est progressif, qu’il porte sur l’ensemble des revenus finaux, est celui qui devrait être augmenté en priorité. C’est pourtant compréhensible par tous que son revenu sert à la fois à financer ses dépenses personnelles, et des dépenses collectives, dont il profite un peu, mais qui, plus encore permettent de faire société. Au contraire les candidats nous proposent des primes non imposables ou des exonérations d’impôt sur le revenu ! Et même si de très nombreux économistes mettent l’accent sur les fractures de la société françaises que génèrent les inégalités, massives, de patrimoine, constitué à 60% par l’héritage, la seule musique qu’on entend sur les droits de succession, ce sont des propositions de diminution. Où sont donc courage et discernement chez les protagonistes du 2e tour.

La lutte contre le dérèglement climatique nous confronte au même type de choix. Si on laisse faire, l’augmentation inévitable du prix des énergies fossiles n’affectera pas les plus favorisés, qui pourront continuer de vivre comme avant ; pendant qu’un grand nombre verra ses conditions de vie, parfois déjà précaires, se dégrader.

Pour éviter une telle évolution, il n’y a pas d’autres options que l’intervention publique pour développer un réseau dense, efficace, accessible à tous, de transports en commun, susceptible de limiter l’usage de la voiture ; pour permettre l’accès de tous à des logements bien isolés, pour que chacun dispose d’air pur et d’eau pure…

La sobriété, indispensable pour parvenir à un développement durable, ne pourra pas résulter seulement d’innovations techniques et d’investissements. Elle passe par des changements de comportements, des consommations plus sobres. Comment l’envisager si ceux qui aujourd’hui, consomment le plus, ont la plus forte empreinte carbone, ne montrent pas l’exemple.

Voilà le discours de vérité que j’aimerais entendre ; au lieu des litanies de baisse d’impôt, des sarcasmes sur ce concept bancal et pervers d’écologie punitive.

Quel candidat à un mandat électif, en premier lieu celui de la présidence de la République, osera dire qu’il n’y a pas d’issue sans plus d’égalité, sans plus d’impôt, sans plus de partage, non pas le partage de ce qu’ont « les autres », « les riches », mais le partage et la solidarité comme fondement du fonctionnement de la société ; qu’il s’agit de changer les repères et règles du jeu de l’économie, pour que les ressources aillent, un peu mieux, là où sont les besoins fondamentaux, non couverts, chez nous, mais aussi bien au-delà de nos frontières ; pour que la qualité de la relation à « l’autre », du « vivre ensemble » soit le ressort prioritaire qui nous anime.

Vérité, partage et courage, voilà ce que je souhaite aux futurs candidats et élus, en se rappelant cette parole du philosophe Jankélévitch : « il faut commencer par le commencement. Et le commencement de tout, c’est le courage ».

 

                                                                                                            Pierre-Louis Rémy

                                                                                                              18 avril 2022

 

 

 

27.11.21

Propos raisonnables sur le covid


Propos raisonnables sur le covid 

J’aimerais, sur ce sujet difficile et controversé du covid, être vraiment lu, par tous, quelque soient leurs positions, leurs convictions, leurs analyses. Il y a des manipulateurs partout, mais il y a aussi des personnes de bonne foi et désintéressées. C’est à elles que je m’adresse, en espérant contribuer ainsi à atténuer, tarir!, les invectives réciproques.

Mon objectif est de permettre à chacun d’identifier les points d’accord et de désaccord et plus encore d’essayer de mettre en lumière ce qui fonde les désaccords. Une opinion, une décision est toujours la conséquence d’un choix, d’un ordre mis dans les critères d’appréciation de la situation ; et aussi d’hypothèses sur le contenu des incertitudes qui l’entourent. Expliciter les critères, mettre en valeur les incertitudes peut, peut-être, permettre un dialogue plus serein, non pas un accord mais au moins une compréhension des désaccords, une compréhension réciproque. 

Je ferai quatre remarques préalables :

1-     Nous sommes dans un univers d’incertitudes. Nous savons certaines choses. Mais il y en a beaucoup que nous ne savons pas. Pour une part parce-que nous avons relativement peu de recul ; mais plus encore parce-que nous ne savons pas vraiment comment fonctionne le corps humain. Nous connaissons un grand nombre de régulations locales (par exemple l’effet sur le pancréas d’un taux excessif de glycémie), mais nous ne maitrisons pas la régulation globale. Nous ne disposons pas comme en physique de lois générales. C’est pourquoi, à la différence de la physique, la médecine a un caractère prédictif limité, et essentiellement en probabilité. Face aux incertitudes, l’attitude nécessaire, quelque soient ses convictions, est la modestie.

2-     La statistique est un outil puissant, mais à manier avec précaution, car « corrélation n’est pas causalité ». C’est un outil qui ne peut être utilisé que sur la base d’hypothèses préalables que l’outil statistique permet de tester. Encore convient-il d’identifier l’ensemble des facteurs, qui peuvent agir sur le phénomène étudié et de les isoler. Et même si l’outil statistique est utilisé puissamment en médecine, avec des résultats indéniables (evidence based médicine), l’absence de représentation globale du fonctionnement du corps humain induit des limites fondamentales dans son utilisation (voir par exemple http://chroniquesdaujourdhuipourdemain.blogspot.com/2019/08/quelques-reflexions-sur-la-preuve-en.html

3-     Une décision est toujours un arbitrage entre plusieurs considérants, plusieurs facteurs. C’est un pari, dans un univers d’aléas. C’est le rôle du patron, du gouvernant de prendre une décision, dont il assume la responsabilité, en expliquant les critères auxquels il a donné la priorité, les hypothèses qu’il a faites face à l’incertitude. Ce n’est pas le rôle des scientifiques. L’univers de la science est celui de la controverse et pas de la vérité ; d’une connaissance sans cesse remise en question. C’est pourquoi, il me semble que les scientifiques qui conseillent un gouvernement devraient en priorité analyser et expliciter les différentes options avec leurs forces et leurs faiblesses et être très prudents quand ils font des préconisations.

4-     En conséquence des choix faits en matière de médecine, il y a des enjeux financiers extrêmement importants pour les firmes, leurs actionnaires, leurs dirigeants, comme le traduisent très bien l’évolution des cours de bourse des opérateurs.

 

 

Je ne suis ni médecin, ni biologiste. Je me garderai bien de prendre parti dans le débat scientifique sur les mécanismes biologiques à l’œuvre dans le covid et dans les différents moyens envisagés pour y faire face (vaccins, traitements…). J’essaierai seulement d’énoncer quelques questions, de mettre en lumière certaines incertitudes, à partir des quelques éléments (très incomplets) que j’ai pu lire et dont je donnerai bien sûr la référence.

 

1-la dynamique du virus :

Un virus n’est ni stable, ni constant. Il peut varier en vitesse de propagation dans la population selon les saisons, et bien sûr selon l’immunité acquise par une population de façon naturelle ou du fait d’un vaccin. Il peut muter et évoluer dans sa virulence, dans sa contagiosité.

Que sait-on et qu’ignore-t-on sur la dynamique du coronavirus.

Eclairer ce sujet est indispensable pour répondre à trois questions : faut-il faciliter ou au contraire limiter la circulation du virus ? quelle est la contribution du vaccin à l’évolution de la morbidité, de la mortalité liée au COVID ? Le vaccin a-t-il un effet sur les mutations du virus.

 

2-les options pour agir :

Face à la maladie, outre le laisser faire et les actions toujours opportunes de prévention générale qui confortent le microbiote et le système immunitaire (alimentation, vitamine D…), deux leviers de lutte peuvent être mis en œuvre, le traitement ou le vaccin préventif. Il me semble que dans le cas du COVID, la priorité a été donnée au vaccin. Il faut s’interroger pourquoi.

Les produits de santé sont produits par les entreprises pharmaceutiques, qui comme toute entreprise, choisissent ce qu’elles souhaitent produire, avec très logiquement, un objectif de performance financière. Les Etats peuvent les influencer par des incitations financières. Mais en définitive le choix leur appartient. Les laboratoires pharmaceutiques décident des recherches qu’elles entreprennent. Et les autorités publiques sont très largement dépendantes de l’industrie pour apprécier le couple efficacité/sécurité des traitements, puisque ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui financent et organisent les essais de phase 3, dont c’est l’objet, même si ce sont parfois des établissements de soins publics qui les réalisent.

Dans le cas du COVID, il me semble que l’industrie pharmaceutique, globalement, a donné la priorité au vaccin. Pourquoi : est-ce parce qu’il existait des données scientifiques qui conduisaient à penser que cette piste était plus prometteuse, en termes de résultats. Est-ce que des considérations financières ont pu jouer, le marché du vaccin, qui s’adresse à la population générale étant évidemment plus large que celui du médicament qui ne vise que les malades.

Il est vrai que l’histoire du Remdesivir montre la difficulté de mettre au point un médicament efficace. Mis au point en 2015 pour traiter d’autres pathologies, il a fait l’objet d’essais cliniques sur des patients atteints de formes graves du covid, qui ont débouché sur une autorisation de mise sur le marché (AMM) provisoire délivrée par l’Union européenne sur recommandation de l’Agence européenne du médicament, avant d’être déconseillé par l’OMS en novembre 2020.

L’ANSM (agence française de sécurité du médicament) a donné, le 15/03/2021 une autorisation temporaire d’utilisation (RTU) pour deux anticorps monoclonaux, le casirivimab et l’imdevimab « des données préliminaires issues des études cliniques suggérant un intérêt de ces traitements dans la prise en charge des personnes à haut risque d’évolution vers une forme grave de la COVID-19, quand ils sont administrés au tout début de la maladie ».

https://ansm.sante.fr/actualites/anticorps-monoclonaux-lansm-permet-lutilisation-en-acces-precoce-de-deux-bitherapies-contre-la-covid-19

En février 2021, la HAS dans une revue des approches thérapeutiques du covid 21 a précisé que « D’autres études cliniques de phase III sont nécessaires ou en cours pour confirmer l’intérêt des anticorps monoclonaux neutralisants ».

https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-02/veille_covid_fevrier_2021.pdf

 

En revanche, au même moment (01/04/2021) l’ANSM a refusé cette recommandation temporaire d’utilisation (RTU) à l’ivermectine pour la prise en charge de la maladie Covid-19 suite à une demande de professionnels de santé, au motif que « L’analyse des données publiées disponibles à ce jour, du fait de leurs limites méthodologiques, ne permet pas d’étayer un bénéfice clinique de l’ivermectine quel que soit son contexte d’utilisation, en traitement curatif ou en prévention de la maladie COVID-19.», tout en soulignant « la nécessité de mettre en œuvre de larges études cliniques randomisées en vue de conclure sur la base d’une méthodologie adaptée à la possible utilisation de l’ivermectine dans le contexte de la maladie Covid-19 » et en concluant que « Cette position pourra être révisée à tout moment, dès lors que des résultats d’études cliniques seraient susceptibles, en tenant compte d’une évolution de la prise en charge standard selon la population cible, de modifier le constat établi à ce jour ».

Dans sa lettre de réponse à la saisine, l’ANSM précisait également que « aucune demande d’autorisation d’essai clinique n’a été soumise à l’ANSM par un industriel ». https://ansm.sante.fr/actualites/lansm-publie-sa-decision-sur-la-demande-de-rtu-pour-livermectine-dans-la-prise-en-charge-de-la-maladie-covid-19

De fait comme le soulignait le site suisse creapharma.ch, « l’utilisation de l’ivermectine contre la Covid-19 reste controversée en tout cas pour certains médias à la fin juillet 2021, notamment par manque de grandes études cliniques (lire davantage ci-dessous). Plusieurs (plus de 50) “petites” études ont montré son efficacité contre la Covid-19 ». https://www.creapharma.ch/medicaments-sommaire/ivermectine

 

Les « grandes » études cliniques sur lesquelles se fondent les décisions des agences gouvernementales sont essentiellement à l’initiative des laboratoires pharmaceutiques, car elles coutent très cher, devant intégrer un nombre important de personnes, sur une durée significative.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/09/20/essais-cliniques-l-ethique-face-a-l-innovation_6095354_1650684.html#xtor=AL-32280270-[default]-[android] 

Les industriels, c’est logique, s’intéressent aux médicaments coûteux et récents, qui leur procurent de la marge. Les médicaments anciens, génériqués et donc peu chers, ne les intéressent pas. Et ils n’ont évidemment pas d’objectifs en matière de santé publique ni d’optimisation des dépenses de santé. On comprend que Merck, un des premiers laboratoires mondiaux, qui fabrique de l’ivermectine, préfère organiser des essais sur de nouveaux traitements du covid, tel le molnupiravir, dont le prix devrait dépasser 600$ la dose, à comparer à quelques euros pour le comprimé d’ivermectine. Et, naturellement les laboratoires Roche et Lilly étaient mobilisés pour démontrer l’intérêt du casirivimab et de l’imdevimab (cf ci-dessus).

Par bonheur, l’université d’Oxford, a inclus l’ivermectine dans un essai à grande échelle, PRINCIPLE, avec l’espoir de « générer des preuves solides pour déterminer l’efficacité du traitement contre COVID-19, et s’il y a des avantages ou des inconvénients associés à son utilisation » comme l’a déclaré un responsable de l’étude. https://www.fr24news.com/fr/a/2021/06/luniversite-doxford-explore-livermectine-un-medicament-antiparasitaire-comme-traitement-covid-19-2.html

Espérons que cette étude mettra fin aux débats sur ce traitement ; et regrettons qu’elle n’ait pas été engagée avec la même vélocité et les mêmes moyens que ce qui a été entrepris pour les vaccins.

En tout état de cause, l’affirmation selon laquelle le vaccin est le seul moyen de se protéger n’apparaît pas incontestable.

 

La question de la maitrise des essais cliniques et du rôle des Etats, qui sont souvent (toujours en Europe), directement ou indirectement, les principaux financeurs des dépenses de santé, est majeure. C’est un domaine où l’Europe devrait prendre des initiatives.

 

 

 

3-quelle stratégie rationnelle pour sa protection personnelle.

 

Il est rationnel qu’une majorité de personnes prennent l’option du vaccin pour assurer leur protection personnelle. En effet, le vaccin a été administré à plusieurs milliards de personnes. La plupart en sont satisfaites. Il assure une protection, contre le Covid, réelle, même si elle n’est pas totale ; et diminue l’occurrence de formes graves de la maladie. Comme pour les vaccins contre la grippe, son efficacité diminue avec le temps, significativement après 6 mois.

Cette option même imparfaite pourrait s’imposer à tous si le vaccin ne présentait aucun inconvénient, a fortiori aucun danger. On peut affirmer que les risques sont très faibles, mais personne ne peut affirmer que le risque est nul. D’abord parce-qu’il existe des effets indésirables graves répertoriés. Leur nombre fait débat, leur lien avec le vaccin aussi. Mais on ne peut contester le raisonnement du démographe Hervé Le Bras, qui dans un article du journal « le monde » résolument favorable au vaccin, écrivait en août 2021, « Selon les rapports de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), les professionnels de santé ont constaté entre janvier et juillet 2021 un millier de morts en France parmi les personnes ayant subi des troubles à la suite de l’injection de l’un des quatre vaccins contre le Covid-19 ». Après avoir rappelé que ce chiffre a été interprété de deux manières opposées, il poursuivait : Les rapports de l’ANSM concluent après un examen assez approfondi des décès post-vaccin que« dans ces conditions, il n’est pas possible de statuer sur un lien physiopathologique avec le vaccin ». Autrement dit, la question reste ouverte. Il est en effet très difficile d’établir un lien de cause à effet dans de telles circonstances, mais nombre d’éléments penchent en faveur, sinon d’un lien direct, du moins d’une relation causale ». Et il continuait : « Il est plus vraisemblable que la vaccination ait accéléré l’arrivée de l’instant fatal, tout comme lors de la grande canicule les personnes les plus fragiles avaient succombé alors qu’il leur restait peut-être quelques mois ou quelques années encore à vivre. On ne l’avait su qu’après coup en constatant une baisse de la mortalité aux grands âges lors des trimestres qui suivirent la canicule ». https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/24/deces-apres-vaccin-ce-qui-est-regrettable-dans-cette-controverse-c-est-la-faiblesse-de-l-enjeu_6092229_3232.html#xtor=AL-32280270-[default]-[android

Par ailleurs on se doit d’être prudent sur les effets à long terme, puisqu’on n’a pas de données sur le sujet, faute de recul, plus encore pour les vaccins moderna et pfizer qui utilisent une « technologie » nouvelle. Je ne sais pas, par exemple, si les vaccins proposés ont fait l’objet d’études de génotoxicité, de cancérogénicité et de tératogénicité. L’absence de modèle général du fonctionnement humain et, en conséquence le caractère non prédictif de la médecine oblige en effet à beaucoup de prudence sur l’évaluation des effets à long terme. C’est d’ailleurs pour cela que les essais de phase 3 réclament une durée longue. Rappelons à cet égard que les vaccins moderna et pfizer ont été mis en œuvre bien avant la fin de leurs essais de phase 3, respectivement le 27/10/2022 pour le premier, le 02/05/2023 pour le second, ce qui explique probablement que ces firmes ait exigé, dans les contrats passés avec les Etats, une limitation de leur responsabilité en cas de dommages liés à leurs produits. C’est d’ailleurs parce-que cette phase d’essais n’est pas terminé qu’on fait signer à chaque candidat au vaccin (c’est une obligation légale) une déclaration de consentement éclairé. A chacun de juger de la réalité de cet engagement.

 

Il n’est donc pas irrationnel de refuser le vaccin, au nom du risque immédiat ou à terme qu’il présente, même s’il est tout à fait minime.

L’argument du « bénéfice-risque » n’est en effet pas automatiquement, systématiquement favorable à la vaccination si on raisonne au niveau individuel. C’est éventuellement une affirmation statistique ; en aucun cas un raisonnement individuel, qui est le fondement d’un traitement, d’un acte de santé. Il y a en effet une différence essentielle avec l’approche « bénéfice-risque » dans l’usage d’un médicament par quelqu’un de malade. Dans ce cas en effet, le risque est effectif, lié à la maladie. Et il y a un arbitrage légitime à faire avec les bienfaits potentiels d’un traitement. La situation est toute autre en ce qui concerne la vaccination contre le covid. Pour beaucoup de personnes en bonne santé, les jeunes et les enfants en particulier, le risque n’est que potentiel, et encore avec une probabilité insignifiante, puisque s’ils attrapent le virus ils développeront, dans la quasi-totalité des cas une forme asymptomatique ou bénigne de la maladie. Le bénéfice est donc très largement hypothétique alors que le risque lié à l’administration du vaccin, même faible, est réel.

Il faut rappeler, à cet égard que l’âge moyen des victimes du Covid est de 82 ans et la moitié des morts ont plus de 85 ans. Les décès liés au covid touchent, pour leur quasi-totalité les plus de 45 ans (+75 ans 73%, 65-74 ans 18 %, 45-64 ans 8%).

 https://fr.statista.com/statistiques/1104103/victimes-coronavirus-age-france/.

Et dans cette distribution, le critère de comorbidité n’est pas pris en compte. Si on ne considère que les personnes en bonne santé, il y a fort à parier que le nombre de décès lié au covid parmi les personnes de moins de 50 ans est négligeable.

Pour une personne en bonne santé, il n’est donc pas irrationnel de prendre le risque du covid, en faisant confiance à son système immunitaire, le cas échéant accompagné et encouragé par des aliments et des substances qui le stimulent, vitamine D, zinc…D’autant plus que le débat sur les traitements reste ouvert (cf point 2).

 

 

4-     Quelle stratégie rationnelle pour une protection collective,

 

C’est un argument souvent employé par les promoteurs de la vaccination. Quelque soient les appréciations sur la stratégie individuelle, le vaccin serait l’outil de la protection collective ; et se faire vacciner serait, en tout état de cause un acte de solidarité. Et par conséquent ceux qui refusent le vaccin seraient des égoïstes. D’où la difficulté de débattre d’un sujet placé d’emblée sur le terrain de la morale avec une vision manichéenne de ce qui est bien et de ce qui est mal.

J’ose malgré tout aborder ce sujet en souhaitant être lu jusqu’au bout.

Puisqu’il s’agit de protection collective, le sujet central est celui de la transmission du virus.

Il est avéré aujourd’hui que le vaccin n’assure qu’une protection limitée contre le virus, qui diminue avec le temps et que s’il diminue les formes de cas graves, il n’empêche pas la transmission du virus.

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/variant-delta/variant-delta-du-covid-19-la-guerre-a-change-craignent-les-autorites-sanitaires-americaines_4722809.html. https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2021/11/03/covid-19-nouvelles-donnees-de-leffet-de-la-vaccination-sur-la-transmission-du-variant-delta/

ce qu’a confirmé très récemment le Président du conseil scientifique, Monsieur Defraissy : https://www.lefigaro.fr/sciences/les-vaccins-anti-covid-protegent-ils-peu-contre-l-infection-20211123?utm_source=app&utm_medium=sms&utm_campaign=fr.playsoft.lefigarov3

Cela veut dire que se vacciner n’empêche pas de contaminer l’autre, avec une probabilité d’autant plus grande que le vaccin est plus ancien. Le message implicite des pouvoirs publics, un peu corrigé depuis, « faites-vous vacciner et vous pourrez tout faire comme avant » n’est pas fondé. La vaccination a entrainé un relâchement des gestes barrières qui a pu favoriser les contaminations. Heureusement, dans la ligne des recommandations du conseil scientifique, l’accent a été mis à nouveau sur la responsabilité personnelle, dans ses comportements.

C’est là, à mon sens le cœur de la solidarité. Le fondement de la solidarité c’est l’attention à l’autre, dans son comportement personnel (gestes barrières, isolement).

Il n’est donc pas juste d’affirmer que tous ceux qui ne sont pas vaccinés sont des égoïstes qui ignorent la solidarité. Car la solidarité, en l’occurrence, c’est de veiller à ne pas contaminer l’autre, particulièrement s’il fait partie des populations fragiles.

Deux questions méritent alors d’être examinées :

A-est-on infecté plus fréquemment, donc susceptible de transmettre le virus, quand on est vacciné, ou quand on a contracté le covid et donc été contaminé par le virus.

Je ne suis pas sûr qu’on sache répondre vraiment à cette question, car l’immunité est un phénomène complexe, et multidimensionnel. Il y a une grande variabilité selon les individus, et aussi en fonction du temps. Apparemment il n’empêche pas la présence du virus dans les muqueuses de la gorge et du nez, qui sont les sources essentielles de la contagion, par l’air expiré et la salive. En revanche, il protège les poumons. https://www.jle.com/fr/covid19-vacciner-contre-detection-par-PCR-ou-contre-maladie-covid19 Ce qui explique qu’il n’empêche pas la propagation du virus mais qu’il protège des formes graves. Il semble donc que se faire vacciner c’est se protéger soi-même, mais ce n’est pas protéger les autres.

 

B-est-il souhaitable ou non que le virus circule. Il me semble que cette question n’est pas assez débattue. Plusieurs articles du docteur Sonigo, ancien directeur du laboratoire de génétique des virus à l'Institut génétique moléculaire (INSERM) montrent que dans la population générale non fragile c’est la circulation du virus qui assure la protection (  https://www.linkedin.com/pulse/faq-covid-3eme-partie-les-vaccins-pierre-sonigo/?originalSubdomain=fr ). Même si ce point de vue n’est pas unanimement partagé, ce n’est faire preuve ni d’incompétence, ni d’irresponsabilité, ni d’égocentrisme que d’accepter que le virus puisse circuler en population générale, dans la mesure où pour le plus grand nombre, il ne touche que les voies supérieures et ne génèrent donc que des formes bénignes de la maladie, à condition, bien sûr d’organiser la protection des personnes fragiles, en particulier celles qui souffrent de comorbidités, en s’appuyant sur le vaccin si elles le souhaitent. Cela renvoie au point précédent, « 3-quelle stratégie rationnelle pour sa protection personnelle ».

 

En définitive est-on assuré, comme l’ont déclaré de nombreux responsables politiques, en Europe que « le vaccin pour tous est l’outil pertinent de la protection collective ».

Une statistique est souvent mise en avant pour légitimer cette affirmation, malgré les interrogations rappelées ci-dessus. Cette analyse des contaminés et hospitalisés selon leur statut vaccinal est actualisée tous les mois. Je fais, ci-dessous référence à celle de septembre, complétée par une actualisation sur novembre https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-09/2021-09-03%20-%20Appariements%20sivic-sidep-vacsi%20Drees_0.pdf

Les données sur les contaminations sont difficiles à interpréter, car la population qui se fait tester n’est pas définie, autrement que par cette décision de demander un test et aussi parce qu’on ne sait pas conclure sur l’opportunité ou non que le virus circule (cf ci-dessus). On remarque logiquement que ce sont les plus jeunes qui sont le plus testés positifs, en même temps qu’ils sont les moins hospitalisés.

Pour ce qui est des hospitalisations, en soins conventionnels ou en soins critiques, on constate clairement un taux nettement plus important pour les non vaccinés que pour les vaccinés. Selon les analyses de la DREES (cf ci-dessus), 80 % des admissions en soins critiques et 76 % des admissions en hospitalisation conventionnelle sont le fait de personnes non vaccinées, alors que celles-ci ne représentaient alors que 32% de la population générale concernée. On constate aussi, en ce qui concerne les non vaccinés une très grande différence selon l’âge : plus de 450 hospitalisés par millions d’habitants en une semaine pour les plus de 80 ans contre moins de 100 pour les 20-39 ans. De façon un peu inattendue, on constate qu’en ce qui concerne les soins critiques, le taux d’hospitalisation ne suit pas la courbe des âges : 23 hospitalisés de 20 à 39 ans, 66 de 40 à 59, 145 de 60 à 79 ans, mais seulement 43 pour les personnes de 80 ans et plus.

De ces éléments on tire deux observations, qui, je le crois, sont très largement partagées.

1-la gravité du covid croit fortement au-delà d’un certain âge. Et je n’exclus pas en outre que les patients avec comorbidités forment, à tout âge, une part importante des personnes hospitalisées et en soins critiques.

2- le vaccin limite fortement (mais pas totalement, puisque l’étude de la DREES mentionnée ci-dessus nous informe aussi que sur la semaine considérée, parmi les décès liés au covid, 24% étaient le fait de personnes vaccinées) les formes graves de la maladie et est donc un efficace moyen de protection pour les populations à risque vis-à-vis du covid, c’est-à-dire, en priorité les personnes atteintes de comorbidités.

De même, au début novembre la DREES nous apprend que à taille de population comparable, il y a environ 12 fois plus d’entrées en soins critiques pour parmi les personnes non vaccinées que parmi celles qui sont complètement vaccinées de 20 ans et plus. Faut-il en conclure que, malgré toutes ses limites (protection imparfaite, diminuant avec le temps, risque de contagiosité réel, effets indésirables…) la vaccination généralisée est le bon outil de lutte contre la pandémie ?

Au-delà du chiffre spectaculaire, « 12 fois plus », il est opportun de s’intéresser aux chiffres absolus : d’un côté 27 admissions en soins critiques sur une semaine pour 100000 personnes, de l’autre un peu plus de 2. Et sur un mois 57 décès pour 1 million d’un côté, 6 de l’autre. Cela signifie que la quasi-totalité de la population, qu’elle soit vaccinée ou pas, sur cette période, soit n’a pas été touchée par le covid, soit l’a été de façon limitée. Et il est probable qu’une partie importante des personnes gravement atteintes, vaccinées ou non, soient atteintes de comorbidités.

Si le vaccin était totalement sûr et inoffensif, on pourrait conclure que l’obligation vaccinale se justifie, au moins pour ceux qui n’ont pas été contaminés par le covid. Mais, dans le contexte de nos connaissances et incertitudes sur les effets indésirables graves, faut-il en faire l’outil universel de protection, voire décréter une obligation vaccinale, alors que pour l’immense majorité de la population, vaccinée ou non, le covid sera une maladie bénigne et que l’intérêt ou non d’une circulation du virus n’est, me semble t’il, pas bien documentée.

 

5-quelques réflexions sur les autres enjeux :

Au-delà des considérants sur la prise en charge de la maladie covid, d’autres enjeux implicites ou explicites sont présents, la question « économique » des moyens disponibles à l’hôpital pour traiter les cas graves, celle du risque que prennent les décideurs politiques face à d’éventuelles mises en jeu de leur responsabilité, celle enfin des relations de chacun de nous et de notre société avec la mort.

 

51-la question économique : on a beaucoup entendu avancer l’argument de risque de saturation des hôpitaux par le covid pour justifier des mesures de restriction susceptibles d’en limiter la propagation. C’est un point qui mérite naturellement d’être pris en considération. Mais on ne peut le limiter au covid.  Faut-il par exemple limiter la pratique du ski pour éviter l’engorgement des hôpitaux savoyards, du fait des fractures, ou les courses de formule 1, activités non essentielles (?), qui engendrent des accidents rares, mais souvent gravissimes, qui mobilisent de gros moyens hospitaliers. Et ces arbitrages pourraient se poser aussi en ce qui concerne les pollutions, la nourriture…Ces questions peuvent paraître incongrues. Elles soulignent des choix implicites ou non des responsables politiques, et plus profondément de notre société.

En ce qui concerne l’affectation des moyens de santé, en 2020 le choix (implicite ou explicite ?) a été fait de donner la priorité au traitement du covid par rapport à d’autres maladies, puisque les dépenses globales de santé ont très peu augmenté en 2020, alors même que celles liées au covid étaient évidemment en très forte croissance

( https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/panoramas-de-la-drees/les-depenses-de-sante-en-2020-resultats-des-comptes-de-la-sante)

Cette question des priorités d’usage de l’argent public dans la santé est une question majeure absente du débat public, et d’ailleurs très difficile à y introduire. Et pourtant des choix implicites sont fait en permanence par les pouvoirs publics : baisse de prise en charge des soins courants/accroissement des remboursements de médicaments très coûteux ; prévention/traitement,

action sur les causes des maladies ou sur leurs conséquences : par exemple la pollution de l’air provoque chaque année un nombre de morts dans des ordres de grandeur du covid sans que cela provoque l’émotion et la mobilisation médiatique et gouvernementale, qu’a provoqué le covid, alors même que les victimes n’ont généralement aucune responsabilité dans l’origine de leur mal (On estime à 1,6 million le nombre de décès prématurés attribués chaque année à l’exposition aux particules fines en Inde, contre 400 000 en Europe et environ 40 000 en France, https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/09/22/pollution-de-l-air-l-oms-durcit-drastiquement-ses-normes-pour-eviter-7-millions-de-morts_6095590_3244.html ),

Plus largement la question de l’affectation globale de l’argent public devrait être au cœur du débat démocratique. On en est loin.

 

52 : la question de la responsabilité :

Chaque acte qu’on pose engage légitimement sa responsabilité. Cela vaut d’autant plus qu’on a du pouvoir. On a trop souvent critiqué l’impunité des puissants pour ne pas se réjouir de la possibilité de les mettre en cause. En ce qui concerne les dirigeants politiques la responsabilité politique est évidente, devant le Parlement et les électeurs. On peut s’interroger sur le sens de la responsabilité pénale, quand il s’agit de décisions liées à leur fonction. Je ne suis pas sûr que ce soit un signe de bonne santé de la démocratie. Mais de toute façon c’est une réalité, comme le montre la récente mise en examen d’Agnès Buzyn.

Depuis l’affaire du sang contaminé, il y a plus de 20 ans, beaucoup de politiques sont « hantés » par ce risque de mise en cause pénale, dans le domaine de la santé.

Il y a des situations relativement faciles à apprécier pour un juge : a-t-on fait des déclarations mensongères ; a-t-on falsifié des documents, caché délibérément des informations...

En revanche il est très difficile, voire impossible, pour un juge, de « faire la preuve » qu’une décision a été fondée ou non, plus encore dans le contexte où les connaissances en matière de santé sont parcellaires et évolutives. Il y a beaucoup d’incertitudes. Le juge est dès lors tenté de prendre pour référence les affirmations des « autorités » scientifiques, qui deviennent ainsi des sortes de normes. Ce processus est extrêmement problématique, car il conduit à gommer la controverse qui est pourtant au cœur de la démarche scientifique, plus encore dans un champ aussi complexe que celui du fonctionnement du corps humain et, en définitive à ériger les scientifiques en « législateurs ». Et les responsables politiques sont alors naturellement enclins à suivre l’opinion scientifique dominante. Ils sont ainsi protégés.

 

5.3- Le rapport à la mort :

Un de mes amis est mort très récemment du covid : 88 ans, de lourdes comorbidités ; non vacciné. Je ne sais ce qu’il portait au plus profond de sa tête et de son cœur. Mais sa famille, sa femme, ses enfants m’ont déclaré, au moment de ses obsèques, qu’eux-mêmes n’envisageaient pas de se faire vacciner. Peut-on reconnaître aujourd’hui à quelqu’un de très âgé, de fragile, le droit d’accueillir la vie et la mort comme elles viennent.

 

 

                                                                                                       Pierre-Louis Rémy  novembre 2021