Double
impasse
Le premier tour de l’élection présidentielle vient de s’achever. Les douze
candidats ont rivalisé de promesses ; moins d’impôts, plus de pouvoir d’achat.
Les deux finalistes nous promettent des lendemains qui chantent.
Le premier affiche sa confiance dans la science, le progrès technique et
la croissance, dont les dividendes devraient profiter à tous. La seconde nous
propose le repli sur soi, en nous faisant croire que « l’autre » est
la cause de tous nos maux. Il suffirait de s’en débarrasser pour que tout s’arrange.
Quant aux mesures économiques proposées, mis à part la retraite à 65 ans
affichée par E. Macron, sur laquelle on sent d’ailleurs un flottement, les programmes
ne comportent que de bonnes nouvelles : suppression de la redevance télé,
prime exonérée d’impôts et de cotisations, allègement de la fiscalité sur les
successions, diminution de la fiscalité des entreprises, accroissement du
minimum de pension… ; et pour être sûr de ne pas manquer d’énergie, la
multiplication des EPR.
Pour les deux candidats, dans le domaine économique, il s’agit, en gros,
de « continuer comme avant ». Aucun d’eux, ne laisse entrevoir que
notre modèle de développement est peut-être à bout de souffle. Et à quelques
nuances près, l’observation vaut pour l’ensemble des candidats. Peut-être
sont-ils convaincus. Peut-être s’interrogent-ils au fond d’eux-mêmes mais n’osent
pas sortir de cette logique du « toujours plus », qui depuis
longtemps nourrit les campagnes électorales.
A de rares exceptions, liées à des chocs externes, notre richesse globale,
le PIB et notre richesse par tête augmentent régulièrement depuis des
décennies. Et pourtant l’accès aux besoins fondamentaux est toujours refusé à
une partie de nos concitoyens. Pire : dans certains cas il se dégrade.
Par exemple, se loger en centre-ville est devenu inaccessible financièrement
pour un grand nombre, dans les grandes métropoles, sauf à disposer d’un
héritage, qui permet de constituer un substantiel apport personnel. Beaucoup de
personnes sont donc obligées d’habiter loin des centres, dans des lieux mal
desservis par les transports en commun ou dans des banlieues désertées par les
services publics. Et malgré cette situation, le nombre de logements mis en
chantier ces dernières années a baissé sensiblement. Le sujet est presque absent du débat des
élections présidentielles.
Pour changer le cours des choses, il faudrait accepter de remettre en
cause la rente foncière qui a conduit à une hausse démesurée du prix des
terrains et des logements, et donc des gains démesurés de ceux qui les
possèdent, dans les lieux « bien situés », remettre à plat la
fiscalité de l’immobilier, combattre le malthusianisme de tous ceux qui ne
veulent pas qu’on construise près de chez eux…En un mot il faut du courage.
De même la qualité et la disponibilité des services de santé diminuent ;
le vieillissement de la population génère des besoins nouveaux, mal
couverts; le système éducatif, condition de l’égalité des chances, ne s’améliore
pas, au contraire ; avec des résultats chaque année plus dégradés sur la maitrise,
par les écoliers, des savoirs fondamentaux et une inégalité insupportable dans
les conditions de prise en charge des élèves, à tous les niveaux, de la
maternelle à l’enseignement supérieur.
Bien sûr, dans ces domaines, il y a des améliorations importantes à
faire dans l’organisation et le fonctionnement. Il y a des corporatismes à
mettre en cause, des responsabilités à clarifier ; un poids des services
administratifs, excessif ; une centralisation et un souci d’uniformisation
qui génère la paralysie, plutôt que l’égalité ; un management plus
soucieux de conformité que de résultats. Tout cela doit être traité ; et
ne l’a pas été. Il y a des économies à faire, des gaspillages à supprimer, mais
aussi des moyens supplémentaires à affecter.
Il en va de même pour le service public de la justice, celui de l’emploi…
Nous avons de plus en plus besoin de biens publics, pour permettre à
tous de vivre correctement et en sécurité. Sinon ce sera le privilège d’une
minorité, comme dans beaucoup de pays, où grâce à l’argent, on s’assure les services
dont on a besoin.
Mais plus de biens publics signifie plus de ressources publiques, donc
plus d’impôts. Qui a le courage de le dire. Et qui a le courage d’expliquer que
l’impôt sur le revenu parce qu’il est progressif, qu’il porte sur l’ensemble
des revenus finaux, est celui qui devrait être augmenté en priorité. C’est
pourtant compréhensible par tous que son revenu sert à la fois à financer ses
dépenses personnelles, et des dépenses collectives, dont il profite un peu,
mais qui, plus encore permettent de faire société. Au contraire les candidats
nous proposent des primes non imposables ou des exonérations d’impôt sur le
revenu ! Et même si de très nombreux économistes mettent l’accent sur les
fractures de la société françaises que génèrent les inégalités, massives, de
patrimoine, constitué à 60% par l’héritage, la seule musique qu’on entend sur
les droits de succession, ce sont des propositions de diminution. Où sont donc
courage et discernement chez les protagonistes du 2e tour.
La lutte contre le dérèglement climatique nous confronte au même type de
choix. Si on laisse faire, l’augmentation inévitable du prix des énergies
fossiles n’affectera pas les plus favorisés, qui pourront continuer de vivre
comme avant ; pendant qu’un grand nombre verra ses conditions de vie, parfois
déjà précaires, se dégrader.
Pour éviter une telle évolution, il n’y a pas d’autres options que l’intervention
publique pour développer un réseau dense, efficace, accessible à tous, de
transports en commun, susceptible de limiter l’usage de la voiture ; pour
permettre l’accès de tous à des logements bien isolés, pour que chacun dispose
d’air pur et d’eau pure…
La sobriété, indispensable pour parvenir à un développement durable, ne pourra
pas résulter seulement d’innovations techniques et d’investissements. Elle
passe par des changements de comportements, des consommations plus sobres.
Comment l’envisager si ceux qui aujourd’hui, consomment le plus, ont la plus
forte empreinte carbone, ne montrent pas l’exemple.
Voilà le discours de vérité que j’aimerais entendre ; au lieu des
litanies de baisse d’impôt, des sarcasmes sur ce concept bancal et pervers d’écologie
punitive.
Quel candidat à un mandat électif, en premier lieu celui de la
présidence de la République, osera dire qu’il n’y a pas d’issue sans plus d’égalité,
sans plus d’impôt, sans plus de partage, non pas le partage de ce qu’ont « les
autres », « les riches », mais le partage et la solidarité comme
fondement du fonctionnement de la société ; qu’il s’agit de changer les
repères et règles du jeu de l’économie, pour que les ressources aillent, un peu
mieux, là où sont les besoins fondamentaux, non couverts, chez nous, mais aussi
bien au-delà de nos frontières ; pour que la qualité de la relation à « l’autre »,
du « vivre ensemble » soit le ressort prioritaire qui nous anime.
Vérité, partage et courage, voilà ce
que je souhaite aux futurs candidats et élus, en se rappelant cette parole du
philosophe Jankélévitch : « il faut commencer par le commencement. Et
le commencement de tout, c’est le courage ».
Pierre-Louis
Rémy
18 avril 2022