Au nouveau président, un sujet oublié dans la campagne et
pourtant si essentiel :
Pour une amélioration de la qualité et de
l’efficacité de la gestion publique.
C’est un sujet majeur dans notre pays, compte-tenu de la
place qu’y tient le service public, pas seulement en termes économiques, et du
nombre de fonctionnaires.
C’est un sujet majeur pour tous ceux qui portent l’objectif
politique de la solidarité, car c’est un outil essentiel de réduction des
inégalités et de promotion de l’égalité des chances ; et les français de
toutes conditions et de tous bords politiques y sont très attachés.
C’est un sujet majeur pour tout gouvernement soucieux de
bonne gestion et attaché à la réduction de notre dette et à l’amélioration de
notre compétitivité ; parce-que, aujourd’hui, à beaucoup d’égards, le
service public ne fonctionne pas bien (voir plus bas), ce qui génère : qualité
de service inégale et frustration des usagers ; malaise des agents et
parfois, conditions de travail très difficiles ; et coûts très élevés. Si l’on
souhaite baisser (ou même stabiliser) les prélèvements obligatoires et faire un
peu mieux « aimer » l’impôt, il faut améliorer l’efficacité et la
qualité du service public.
C’est un sujet très difficile, d’abord parce qu’il est
compliqué : il touche à de multiples facettes de la gestion publique,
gestion financière, procédure budgétaire, statut de la fonction publique,
gestion des ressources humaines…En outre, il ne suffit pas (et c’est déjà
difficile) de définir là où on veut aller ; il faut aussi organiser le
« passage de l’état A à l’état B », c’est-à-dire mettre en place un
processus de conduite de changement, ce qui n’est pas simple. Ce changement ne
peut se faire de façon unilatérale ; il appelle des négociations sociales,
auxquelles ni les syndicats, ni les DRH des fonctions publiques ne sont
préparés.
Quelques éléments de
diagnostic :
-Les fonctions publiques sont très étendues (et le processus
continue : la loi Déontologie d’avril 2016,
a durci les possibilités de dérogation au statut de fonctionnaire pour
les établissements publics). Il y a, chez nous, une sorte d’identification
entre service public et statut public des personnels, ce qui n’est pas le cas à
l’étranger. Ainsi la part des employés du secteur public bénéficiant d’une
garantie d’emploi à vie est de 82% en France, contre 43% en Allemagne et moins
de 5% dans les pays nordiques. Et la rigidité des fonctions publiques a un
corollaire : la multiplication d’emplois très précaires, pour assurer un
minimum de souplesse, dans l’éducation nationale, les hôpitaux…A la différence
d’autres pays, les salariés et les syndicats font plus confiance au statut
public qu’à la négociation collective pour les protéger.
-le mode privilégié de pilotage des services est la norme, généralement
à travers des circulaires innombrables élaborées par les différents bureaux
d’administration centrale, sans que le souci de la cohérence et de la capacité
de mise en œuvre soit toujours présent. Et la norme est générale, donc mal
adaptée à la diversité des situations. Le responsable opérationnel est souvent
plus dans la situation d’avoir à appliquer des règles multiples (et parfois
contradictoires) qu’à rechercher un résultat. Et quand on assigne un indicateur
de résultat (cf le nombre d’expulsions de migrants en situation irrégulière
sous Sarkozy), il est ponctuel, ne s’inscrit pas dans l’action globale, et
provoque donc toutes sortes de dérives.
-le contrôle comptable privilégie la rigueur formelle, ce
qui génère des coûts et des délais, mais aussi peut conduire à brider les
initiatives des responsables opérationnels et être contradictoire avec les
objectifs qui leur sont donnés.
-les règles d’affectation, d’avancement et de mutation
donnent un poids prépondérant au statut (aux corps), à l’ancienneté et à des
critères personnels (type : rapprochement de conjoints…), beaucoup plus
qu’aux compétences, à l’adéquation au poste, à la performance. Selon une
comparaison de l’OCDE, la France est le pays où l’affectation est le plus
fondée sur la carrière (le statut) et le moins sur les postes (l’adéquation des
compétences au poste), c’est aussi presque (après la Turquie !) celui où
l’affectation est la plus centralisée (et donc avec une intervention limitée ou
nulle du responsable de service).
-le corollaire de tout cela est une faible reconnaissance
des agents, une faible écoute de leurs propositions, de faibles capacités
d’initiatives et d’innovation.
-les tentatives de réformes de l’Etat ont été jusqu’à
présent des échecs : La LOLF, qui devait permettre de privilégier les
concepts de missions et de performance dans l’architecture de la loi de
finances, a plus généré un nouveau formalisme qu’une évolution du
fonctionnement de l’Etat. Et la RGPP lancée par N.Sarkozy s’est traduite par
des diminutions de moyens et des
réorganisations formelles, qui n’ont pas amélioré (et plutôt dégradé) la
qualité et l’efficacité du service public (et généré une grande frustration des
agents). La source de ces échecs tient notamment au rôle majeur que joue la
direction du budget, dans le pilotage de la gestion et de la fonction publique,
et dans les tentatives passées de réforme de l’Etat. Or ni sa culture, ni ses
objectifs traditionnels (encadrer et contenir la dépense publique) ne la
prédispose à réussir la transformation nécessaire de la gestion publique.
-il faut enfin souligner qu’au-delà du discours, cet
objectif d’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la gestion publique
est difficile à porter par les responsables politiques ; parce-que c’est
un sujet compliqué qui ne se traduit pas en un petit nombre de mesures simples
et affichables ; parce-que il demande du temps, beaucoup de temps ;
parce-que les changements génèrent des peurs et entraineront inévitablement des
conflits, éprouvants. Il faut beaucoup de courage et de persévérance pour se
lancer dans une telle démarche.
Pour agir :
Pour espérer réussir, on doit avoir à l’esprit quelques repères
essentiels pour l’action.
-on ne réussit pas un changement si on n’est pas au clair
sur l’objectif poursuivi, sur ce qui est essentiel et ce qu’on peut abandonner.
-on ne réussit pas un changement si on n’a pas d’alliés
qu’il faut identifier, écouter et prendre en compte. Dans le service public, il
y a un nombre significatif d’agents de tous niveaux, qui prennent des
initiatives et ont envie que cela bouge. Aujourd’hui ils sont souvent étouffés,
voire pénalisés. Il faut les valoriser et s’appuyer sur eux.
-le changement bouscule les situations acquises, demande des
efforts. Il faut qu’il y ait des contreparties significatives, qui donneront
envie à un grand nombre de tenter le pari du mouvement, et qui permettront,
peut-être, de trouver des accords avec certains syndicats, dans les
indispensables négociations sociales que les changements statutaires
appelleront.
Pour réussir, on sera obligé de bouger certains tabous :
-élargir les recrutements (pour les postes non régaliens) à
des non fonctionnaires.
-remettre en cause cette fausse approche de l’égalité qui
repose sur l’uniformité
-modifier en profondeur la gestion de la fonction publique
(décloisonnement, règles d’affectation, d’avancement, de mutation…). Et atténuer,
voire supprimer la garantie de l’emploi à vie pour certaines catégories ou dans
certaines situations.
-revisiter les responsabilités de l’ordonnateur, du contrôle
financier et des comptables, à partir des pratiques constatées sur le terrain.
Il faudra parallèlement faire évoluer en profondeur le mode
de management de l’Etat ; gérer des personnes, des situations et non pas
des règles, prendre des initiatives, innover et non pas reproduire, jouer
collectif autour d’un objectif ; expliquer, écouter, faire partager ;
montrer l’exemple ; plus d’autonomie, plus de responsabilité, plus de sanctions,
positives et négatives. C’est peut-être le plus difficile.
En définitive il faudra passer d’une gestion fondée sur la
méfiance à une gestion reposant sur la confiance,
d’un pilotage visant la conformité à un pilotage ayant pour juge de paix, le résultat.
Pierre-Louis Rémy
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