L’annonce
était séduisante, et plus encore pertinente. Le président de la république
avait annoncé vouloir réformer les modalités de sortie de l’ENA, avec
l’objectif que les affectations soient décidées en fonction des priorités de
l’Etat.
C’était
du bon sens, de mettre en priorité les moyens, et notamment les ressources
humaines, là où sont les enjeux majeurs. C’était une bonne entrée de la réforme
de l’Etat : revoir le mode de gestion des fonctionnaires, en commençant
par les niveaux les plus élevés de la hiérarchie. C’était courageux, car cela
supposait de s’attaquer au système de corps et de castes, qui paralyse la
gestion de la haute fonction publique. C’était rompre le cercle vicieux qui
conduit les domaines les plus cruciaux de l’action publique, la cohésion
sociale et la lutte contre les exclusions, l’éducation, la santé… à ne
recruter, à la sortie de l’ENA, pour l’essentiel, que sous la contrainte, de
jeunes fonctionnaires dont l’ambition est alors, bien souvent, de saisir
l’opportunité d’aller voir ailleurs, dès qu’elle se présente.
Mais
c’est en fait tout le contraire que nous propose le premier ministre, le statu
quo et même d’une certaine façon, un retour en arrière.
Pour
l’essentiel rien n’est changé. Les modalités d’affectation demeurent les
mêmes ; comme la hiérarchie du classement de sortie. Le fait d’affecter
temporairement les premiers du classement sur des fonctions prioritaires de
l’Etat est un faux semblant, qui risque, en outre de générer des effets
pervers, qui vont aggraver la situation actuelle.
D’abord
ce n’est pas une nouveauté. Il y a près de 40 ans, par exemple le rapport Lamy
Bianco (alors jeunes inspecteur des finances et membre du conseil d’Etat) a été
à la base d’une évolution profonde de l’aide sociale à l’enfance, et ont
largement inspiré les changements règlementaires et législatifs qui ont suivi.
Bien sûr, ils étaient volontaires. Mais est-on sûr que la contrainte permettra
autant d’engagement et d’efficacité.
Surtout
quel sens a une affectation, normée, de deux ans. C’est une parenthèse dans la
carrière. Cela n’exclut évidement pas que les « bonnes têtes », ainsi
affectées fassent un travail utile. Ce peut-être une bonne méthode pour une
intervention ponctuelle. Mais cela ne conduira pas à des changements en
profondeur de l’action publique, qui impliquent en général un investissement
durable, dans des domaines complexes, où la compréhension des acteurs,
nombreux, est un gage d’efficacité.
Et
puis ce processus risque d’aggraver encore la gestion courante des personnels
d’encadrement des ministères « délaissés ». On peut craindre en effet
que les sujets à enjeu, ceux qui permettent de se mettre en valeur et de faire
ses preuves soit réservés à cette « élite de passage ».
La
prise en compte des priorités de l’Etat dans la gestion de la haute fonction
publique implique une toute autre approche, à l’image de ce qui se pratique
dans de grandes entreprises, dont le management est cher au président de la
république, investir sur les fonctions clés, repérer les compétences pour en
tirer le meilleur parti et valoriser les personnes en fonction de leurs
résultats.
La
priorité est de rendre attrayante une carrière sur les priorités de
l’Etat : ceci passe par une évolution des politiques de rémunération, très
déséquilibrées entre les ministères, mais plus encore par une aide à la
construction d’itinéraires professionnels intéressants et valorisants pour ceux
qui s’engagent dans ces domaines prioritaires. Ce n’est aujourd’hui pas le cas.
Cela implique évidemment de briser les « chasses gardées », qui
permettent aux ministères « cotés » de séduire à la sortie de l’ENA.
Et cela appelle sans doute aussi une refonte des conditions d’accès aux
« grands corps » qui comme cela a plusieurs fois été proposé,
devraient être exclusivement alimentés par des fonctionnaires ayant fait leurs
preuves.
Ce
sont là des réformes profondes qui demandent du temps et du courage. La réforme
de l’Etat est à ce prix.
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