Alerte pour la
République
Le mouvement des gilets jaunes est difficile à cerner, dans
ses modalités d’action, ses objectifs, son organisation. Il est plein d’ambiguïtés
et de contradictions. A ce jour on ne sait pas ce qu’il en adviendra.
Mais il est l’expression de deux crises majeures auxquelles
nous sommes confrontés, pas seulement notre pays, mais particulièrement pour ce
qui concerne la deuxième.
1-La montée des
inégalités et la perte de la perspective de vivre mieux demain :
Au-delà des statistiques et des débats qu’elles suscitent,
il faut faire un constat : une partie de nos concitoyens vivent bien, et
souvent de mieux en mieux ; une autre vit mal, très mal, sans perspective
que cela change. Parmi ceux-ci, il y a des courageux, qui se lèvent tôt, par
exemple ceux et plus encore celles qui font le ménage dans les bureaux avant
l’arrivée de leurs occupants ; et des découragés. Pour eux, il est facile
de dire qu’ils ne font pas d’efforts. C’est sans doute vrai pour certains, mais
prenons garde de juger trop vite, sans connaître les histoires personnelles.
Pour les uns et pour les autres, la vie est difficile, faite de multiples
contraintes et souvent sans perspective d’amélioration. Comment peuvent-ils
comprendre qu’on leur demande des efforts, si cela complique encore leur
vie ; alors même que les catégories aisées ne sont pas, ou très peu
affectées dans leur mode de vie, et que leur bilan carbone est en général bien
plus élevé que celui des personnes moins favorisées. Comment peuvent-ils
accepter une taxation supplémentaire, alors qu’à juste titre, ils perçoivent
notre système fiscal comme profondément, et de plus en plus, injuste.
Il est illusoire d’avoir pour objectif à court et moyen
terme une égalité dans l’empreinte carbone
de chacun, à l’échelle d’un pays, a fortiori à l’échelle du monde. Mais,
au-delà de la lutte contre les gaspillages, qui ne se discute pas, comment
demander des efforts à ceux qui vivent le plus mal et se sentent les plus
contraints, si le premier pas dans la modification des comportements ne vient
pas de ceux qui ont la contribution la plus forte aux émissions de gaz à effet
de serre. C’est plutôt le contraire qui se passe. Les plus favorisés n’ont
aucune difficulté à contourner les effets négatifs pour eux du réchauffement
climatique…en alourdissant la facture énergétique. Les climatiseurs se sont
multipliés pour se préserver des températures devenues trop élevées. Et les
canons à neige permettent que les vacances de ski soient toujours au
rendez-vous.
Le réchauffement climatique nous rappelle un fondement
souvent oublié : qu’on le veuille ou non, nous sommes interdépendants. Et ceci a un corollaire : l’interdépendance
rend la solidarité nécessaire : dans la logique du chacun pour soi,
l’humanité est vouée à disparaître, non d’abord pour une raison morale, mais du
fait d’une cause physique. C’est sans doute parce qu’ils comprennent cette
évidence que les tenants du « chacun pour soi » sont logiquement
enclins à nier toute responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.
L’urgence est donc de donner une place centrale à
l’impératif de solidarité. En amont
de toutes les mesures concrètes qu’on peut imaginer, c’est un objectif
idéologique vital. C’est une responsabilité de chacun, plus encore des
intellectuels, des philosophes, des religieux, et en premier lieu des
politiques, qui, dans ce domaine, ont une fonction éminente à jouer,
qu’aujourd’hui, ils n’assument pas. Ce devrait être le cœur du projet européen.
Et c’est aujourd’hui, à mon sens, ce sur quoi, l’Union Européenne a failli :
sur deux dossiers majeurs, celui des migrants et celui de la fiscalité c’est l’individualisme,
le repli sur soi, l’égoïsme des Etats qui domine.
2-La crise de la démocratie :
On ne réalise pas de changements véritables sans l’adhésion
d’un grand nombre. Cette conviction qui est la mienne n’a peut-être pas de
valeur universelle. Certains citeront peut-être, en contre-exemple, la Turquie
d’Ataturk ou l’Iran du Shah. On peut débattre sur ces situations, mais ma proposition
est applicable sans réserve, à nos pays développés, c’est-à-dire éduqués et
complexes.
C’est le sens de la démocratie de permettre le débat public,
la confrontation des points de vue et, en définitive de faire émerger des
lignes d’action, autour desquelles se retrouvent une majorité. C’est aussi le
rôle de la négociation sociale de définir des points d’équilibres entre
différentes approches, différents intérêts, autour desquels les parties
prenantes se retrouvent, peu ou prou.
Cela prend du temps, mais cela permet l’adhésion ou au moins
la compréhension du grand nombre.
Construite dans la perspective de renforcer l’efficacité gouvernementale,
dans un contexte de défiance vis-à-vis des partis, pourtant explicitement
mentionnés pour leurs concours à la démocratie dans son article 4, la
constitution de la cinquième république a organisé la prévalence du pouvoir
exécutif, partagé, à l’origine entre le premier ministre et le président de la
république. L’élection depuis 1962 du président de la république au suffrage
universel, parce qu’elle lui conférait une légitimité directe, a consacré le
rôle prééminent de celui-ci dans l’organisation des pouvoirs.
L’instauration du quinquennat, qui fait rythmer le
calendrier du renouvellement de l’Assemblée Nationale avec l’élection du
président de la république, couplée avec la funeste décision de Lionel Jospin d’inverser
l’ordre de ces deux élections, en donnant la priorité, la primauté à celle du
président, a parachevé cette organisation des pouvoirs, centrée sur l’exécutif.
L’élection législative est devenue un scrutin croupion ayant fonction à
confirmer celle du président, avec l’appui du scrutin majoritaire ; et la
légitimité pour exercer le pouvoir n’est plus celle d’une majorité
parlementaire comme dans la plupart des démocraties européennes.
Les partis ont cessé de jouer leur rôle traditionnel et
essentiel, de construction de projets politiques et de sélection des
dirigeants, pour devenir des machines au service d’un candidat. L’élection d’Emmanuel
Macron a apporté l’éclatante démonstration de cette évolution, poussée à son
stade ultime. N’ayant jamais auparavant affronté le suffrage universel, et n’étant
porté par aucune force politique, il a été élu président de la république et, dans
la foulée a fait élire une majorité, qui ressemblait plus à un club de
supporter qu’à un groupe parlementaire, enraciné dans les territoires et dans
la société.
Cette situation conduit à une organisation pyramidale du
pouvoir où tout procède du président…et de ses proches,..qui partagent la même
vision, la même culture. Cela permet, bien sûr de prendre des décisions, et, au
moins formellement, de faire des réformes. Mais il manque les ajustements, le
recherches de points d’équilibre, les échanges et explications, qui conduisent
à l’adhésion du grand nombre. On peut ainsi baisser les APL de 5€, faire du mécano
avec les cotisations et la CSG, faire évoluer les retraites moins que le coût
de la vie… toute mesure que la direction du budget rêve de voir prendre depuis
tant d’années.
Et un jour ça craque, parce-que le plus grand nombre ne se
reconnaît plus dans ces décisions, parce-qu’il n’y trouve plus de sens,
seulement de l’injustice.
Alors que les institutions de la République devraient avoir pour
ambition de diminuer la coupure croissante entre la population et les « élites »,
notre système institutionnel et la pratique du pouvoir qu’il induit, renforce « l’entre
soi » des dirigeants et accroît, un peu plus encore, la défiance dont ils
sont l’objet.
La France, comme d’autres pays, plus encore que beaucoup d’autres,
doit retrouver des institutions et une culture démocratique, qui seule assure l’unité
d’une nation et permet le changement durable. Nous en avons un besoin urgent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire