Réforme des retraites : un train peut en cacher un
autre.
Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle avait
clairement annoncé son intention de mettre en place un système de retraite
universel, à points. Comme d’autres, j’étais séduit par cette idée, dont les
fondements apparaissaient pertinents : justice : un euro cotisé
génère les mêmes droits pour tous ; transférabilité : les droits se
cumulent quelque soient les changements de statut, salarié du public, du privé,
indépendant, agriculteur… ; simplicité : le point a une valeur
d’entrée quand on cotise et une valeur de sortie, pour définir le montant de sa
retraite.
Pourquoi donc deux mois après sa présentation, ce projet
soulève t’il tant de méfiance et d’inquiétude chez une majorité de nos
concitoyens. Il y a bien sûr l’appréhension que suscite inévitablement un
changement aussi profond et aussi complexe. Il y a aussi l’hostilité que peut
générer la remise en cause de droits, considérés comme acquis.
Mais il y a des raisons beaucoup plus profondes, qui
expliquent la persistance et même l’accroissement de la méfiance.
En premier lieu, le gouvernement construit un projet qu’il
enferme a priori dans une enveloppe financière. Jusqu’à présent toutes les
démarches avaient été inverses. On faisait des projections financières et on
réajustait éventuellement les droits, au vu de ces éléments. Le système proposé
apparaît conçu pour qu’on reste dans l’enveloppe préétablie, c’est-à-dire avec
une logique de gestion prioritairement budgétaire. Le risque est d’autant plus
grand que le dispositif de gouvernance envisagé dans la réforme est très
centralisateur et, malgré les apparences, rend l’Etat maître du jeu.
Ceci est d’autant plus problématique, que le gouvernement a
occulté le débat sur la question centrale du niveau de cette enveloppe et de
son évolution sur le long terme, dans un contexte où la part des retraités dans
la population va continuer de croître. Au motif que les dépenses publiques de
retraite sont, chez nous, dans le haut de la fourchette des pays européens, il
a considéré que c’était un plafond. Cela peut s’accepter, mais cela aurait
mérité un débat public, car cela ne va pas de soi. D’autant plus que les
comparaisons internationales sont sujettes à caution. Chez nos voisins, bon
nombre de cotisations sont la conséquence d’accords collectifs de branches ou
d’entreprises ; et dans ce cadre-là, elles sont obligatoires, pour les
employeurs et pour les salariés, mais elles ne figurent pas dans les dépenses
publiques de retraite.
Il y a là une deuxième spécificité française : la part
des ressources « publiques », c’est-à-dire issues des prélèvements
obligatoires, dans la rémunération globale des retraités est sensiblement plus
forte que chez nos voisins ; ce qui explique que malgré des dépenses publiques
de retraite plus élevées, la baisse de revenus à la retraite soit, chez nous
comparable à ce qu’elle est chez eux. Jusqu’à présent les français ont fait le
choix de la primauté du système public, dans la continuité des choix faits à la
libération, lors de la création de la sécurité sociale. Certains peuvent
souhaiter remettre en cause cette situation. C’est leur droit. Encore
faudrait-il qu’ils l’affichent clairement et que cela fasse l’objet d’un débat
public.
Quant à la justice, dont tous les gouvernants se prévalent,
quels doivent en être les contours. En matière de retraite, l’espérance de vie,
ne devrait-elle pas être le socle de toute construction « juste ». D’où
l’importance de la prise en compte de la pénibilité. Et s’il est nécessaire de
mettre en place un âge pivot ou d’équilibre, la justice impose qu’il ne soit
pas unique, mais adapté aux caractéristiques des différents métiers. En Suisse,
par exemple, les ouvriers du bâtiment peuvent partir en retraite à 60 ans, ce
qu’ils font dans leur grande majorité, suite à un accord collectif étendu, qui
fait explicitement référence à la pénibilité du travail.
C’est parce-que derrière les objectifs affichés par le
gouvernement se cachent, au minimum des choix implicites, et peut-être des
intentions cachées, que la réforme envisagée suscite tant de défiance. Du fait
de notre système institutionnel, le président de la république a les moyens de la
faire adopter. Mais au risque de laisser des traces profondes, qui accroîtront
un peu plus la défiance vis-à-vis des gouvernants.
Pierre-louis Rémy
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