Ce que nous vivons
aujourd’hui nous montre combien est indispensable à la vie de tous, un
système de santé efficient avec suffisamment de lits de réanimation, des
personnels mobilisables, avec des moyens adaptés. C’est un bien public. Quelque
soient les opérateurs, publics ou privés, c’est l’argent public qui les
rémunère. Et c’est la puissance publique, qui peut seule, avoir une stratégie
de précaution, en constituant des réserves de masques, en surdimensionnant
certains équipements pour faire face à des pics d’activité…Comme la crise
actuelle nous le montre, la sous-estimation des besoins en biens publics
conduit non seulement à des dommages graves pour les populations, plus encore
les plus fragiles, mais aussi à des coûts économiques exorbitants. Et
l’affaiblissement, ancien, des compétences de l’Etat dans les domaines sociaux
nous fait courir des risques importants.
Elle paraît bien hors
de propos, en ces temps, la petite musique de « la baisse des
impôts », qu’ont entonné tous nos gouvernants, depuis longtemps, pour nous
séduire. Car pour disposer de biens publics, il faut les financer, c’est-à-dire
lever l’impôt. Et il y a beaucoup de biens publics auxquels nous tenons. :
la protection de la santé, mais aussi l’air pur, le climat, la sécurité… Dans
les périodes comme celles que nous vivons, nous mesurons à quels points ces
biens publics ne sont pas des acquis, mais aussi à quels points ils sont
prioritaires par rapport à des envies de biens individuels, dont la publicité,
souvent, nous rappelait pourtant il y a peu, le caractère « indispensable ».
Se posent alors deux
questions majeures que seul le débat démocratique peut traiter :
Quelles priorités dans
la disposition des biens publics.
Quelque soit le volume de ressources qu’on lui affecte, la dépense
publique a une limite. Et on ne peut éviter de hiérarchiser les besoins
publics. Dans le domaine de la santé on
doit déjà s’interroger. La situation actuelle témoigne de la priorité qui a été
donnée depuis plusieurs années au financement de médicaments très coûteux, aux
effets souvent limités ou incertains, par rapport à la couverture des soins de
base et aux politiques de prévention et de santé publique. Faut-il poursuivre
dans cette direction ? Et plus largement, comment répartir les ressources
publiques entre la protection de la santé, la lutte contre le réchauffement
climatique et la pollution de l’air, l’accès de tous au logement et à
l’éducation, la sécurité de proximité et au-delà de nos frontières… Les
experts peuvent donner des éclairages. Mais c’est l’essence même de la
responsabilité politique de faire des choix dans ce domaine. C’est pourquoi,
dans toutes les démocraties, ce sont les assemblées élues qui votent les
budgets publics. Et en définitive c’est aux citoyens qu’il appartient de
définir le niveau et l’affectation des ressources publiques. C’est pourquoi ce
devrait être un thème central du débat public, en particulier lors des
élections.
Où trouver alors les
ressources publiques ? c’est-à-dire sur quelles bases lever l’impôt. Quelle
part de son revenu chacun doit consacrer à l’impôt, c’est-à-dire à l’accès aux
biens publics dont il dispose, « en indivision » avec ses
concitoyens. C’est une question difficile. Deux points font facilement
consensus : chacun doit participer, car chacun est concerné. Et
naturellement on ne peut répartir la charge de façon égale entre tous, car pour
certains cela dépasserait largement la totalité de leur revenu. Il est admis
que la contribution publique de chacun soit fonction de son revenu. Mais dans
quelle mesure le taux
de prélèvement doit-il augmenter avec le niveau de revenu. Les réponses à cette
question varient selon les époques, les pays…Chez nous, comme dans la plupart
des démocraties, l’impôt sur le revenu est progressif. Mais, depuis 2018, les
revenus du capital y échappent et sont soumis à un impôt proportionnel, la flat
tax. De plus, dans notre pays, l’impôt sur le revenu représente une part très
faible des prélèvements globaux et des revenus. La CSG, qui finance une bonne
part des dépenses de santé est, elle, approximativement proportionnelle aux
revenus. Et elle produit plus que l’impôt sur le revenu ; comme la TVA. Au
total, quand on examine la part des prélèvements publics dans les revenus, on
constate qu’elle dépend assez peu du niveau de revenu, et qu’elle a même
tendance à diminuer pour les plus élevés.
La
progressivité de l’impôt est un indicateur du niveau de solidarité qu’une
société souhaite mettre en œuvre en son sein. Il est clair que sans
progressivité de l’impôt, le volume des ressources publiques et donc des biens
publics restera limité. En même temps une progressivité importante ne peut
s’envisager que si les mieux lotis considèrent qu’un socle minimal de bien-être
pour tous vaut mieux que des ilots confortables, sous bonne garde, réservés à
un petit nombre. Cela implique évidemment aussi que l’argent public soit bien
utilisé. Dans ce domaine aussi, il y a beaucoup à faire. Bien sûr, la
solidarité ne se limite pas à la répartition de l’impôt. Elle touche aussi aux
multiples gestes quotidiens, envers des proches et des plus lointains.
L’attention à l’autre s’exprime tout à la fois dans l’impôt et dans le
comportement de tous les jours. C’est grâce à elle que nous faisons société.
La
pandémie montre notre interdépendance. Nous avons le choix d’y répondre par une
priorité plus forte aux biens publics et une plus grande solidarité ; ou
bien par le repli sur soi, au niveau de notre quartier, de notre entourage, de
notre pays, de l’Europe… ; pour combien de temps ?
Pierre-Louis Rémy
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