La fiscalité n’est pas un jeu :
Après la crue fiscale, après les promesses de pause fiscale,
voici l’annonce d’une future décrue fiscale.
On est bien loin du courage et de la clarté du candidat
François Hollande qui mettait, à juste titre l’accent sur l’importance des
choix fiscaux avec quelques objectifs
simples et forts : considérer de la même manière les revenus du travail et
ceux du capital ; rétablir la progressivité de l’impôt, mettre de la
clarté et de la cohérence dans notre système fiscal.
Après 18 mois d ‘errements, de mesures ponctuelles pour
boucher des trous, calibrées en fonction des cibles électorales qu’on souhaite
épargner, et souvent réajustées face à la grogne et au lobbying efficace d’un
groupe de pression, voilà donc une nouvelle perspective affichée par le
président de la république : « réduire les impôts des français »
A part caresser chacun dans le sens du poil, quel sens a un tel objectif, plus encore de la part d’un
homme de gauche.
C’est bon de proposer aux Français des objectifs en matière
fiscale, car la structure comme le volume des prélèvements obligatoires
expriment bien plus surement les choix des gouvernants que leurs discours.
Encore faut-il qu’ils aient du sens.
Deux questions principales relèvent du choix politique, du
choix citoyen : le niveau des prélèvements obligatoires ; la
structure de leur financement.
Le niveau des
prélèvements obligatoires
Qu’est ce que les prélèvements obligatoires : c’est la
part des ressources consacrées à des dépenses collectives. Le niveau des
prélèvements obligatoires exprime le poids relatif des biens publics dans la
notre consommation et la place que nous reconnaissons à la solidarité publique.
Il y a là matière à débat public et à choix : quelle société voulons nous
: des services publics, services de santé, d’éducation, de gardes de jeunes
enfants… accessibles au plus grand nombre ou plutôt des services privés
facturés selon leur coût ; une priorité donnée aux bien collectifs, la
sécurité, l’air pur… ou plutôt à l’acquisition de biens
individuels ; des solidarités publiques, c'est-à-dire des redistributions
par l’impôt, pour les plus fragiles, pour les familles,…plus ou moins fortes.
C’est le rôle de la politique, des partis politiques de proposer des choix dans
ce domaine, et à nos concitoyens de choisir. Bien évidemment, selon les choix
faits, les prélèvements obligatoires (impôts, charges sociales) ne sont pas les
mêmes ; la société non plus.
Depuis des décennies la France a fait le choix de services
publics développés et d’un haut niveau de solidarité publique, et donc de
prélèvements obligatoires élevés. Ce choix ne va pas de soi ; il peut être
débattu. C’est en ces termes qu’il doit être posé.
Bien évidemment l’argent public doit être bien utilisé,
particulièrement quand la société donne la priorité aux biens publics. A cet
égard, notre pays n’est pas irréprochable. François Hollande a raison de dire
qu’on pourrait faire mieux en dépensant moins. C’est pour une part la responsabilité de chacun d’entre nous, dans nos
comportements quotidiens vis-à-vis des services ou des prestations publics. L’abus, le gaspillage sont une forme de
détournement de l’argent public et nourrissent l’exaspération vis-à-vis de
l’impôt.
Il est
urgent aussi d’ ouvrir vraiment le chantier de l’efficacité de la dépense
publique, non pas dans une approche budgétaire, qui conduit à appauvrir les
services publics et d’abord les moins bien lotis ; mais dans une approche
stratégique : engager une réforme territoriale qui clarifie les fonctions,
les responsabilités, les ressources, et simplifie ; affecter les moyens de
l’Etat où sont les besoins, dans l’éducation, dans la police… ; améliorer
l’efficacité du système de santé qui est un des plus coûteux en Europe, mettre
en place une culture de l’évaluation et du résultat, avec l’autonomie que cela
suppose (et donc une évolution de la tutelle financière) et les sanctions
(positives et négatives) que cela induit.
La structure du
financement des prélèvements obligatoires :
Un choix de services publics développés et donc de
prélèvements élevés implique une attention particulière à leurs conditions de
financement. L’idéal serait que les prélèvements obligatoires portent sur les
revenus finaux, bénéfices des sociétés, revenus de toute nature des personnes
physiques : cela traduirait clairement l’arbitrage de la société entre
consommations individuelles et consommations collectives.
Mais c’est une utopie, qu’aucun pays ne
réalise complètement : d’autres ressources financent également les
dépenses collectives, en particulier taxes sur la consommation, plus indolores
( ?) (TVA, TIPP notamment) et les cotisations sociales, pour des raisons
qui tiennent en particulier à l’histoire de la construction des systèmes de
protection sociale.
Notre pays est dans
une situation particulière à cet égard : les cotisations sociales et en
particulier les cotisations payées par les employeurs, y sont plus élevées
qu’ailleurs : plus de 11% du PIB, soit bien plus que l’Allemagne (moins de
7%), le Royaume-Uni (moins de 4%) (moyenne OCDE : un peu plus de 5%). Cela
tient pour partie au fait que les retraites complémentaires relèvent en France
des prélèvements obligatoires, à la différence des autres pays. C’est le choix
d’une solidarité interprofessionnelle forte, auxquels beaucoup de Français sont
attachés. Les entreprises allemandes anglaises ou américaines supportent
également des charges liées au financement des retraites complémentaires, mais
cela ne relève pas des prélèvements obligatoires.
Mais cela n’explique pas tout. Il est donc pertinent et urgent de diminuer le poids des cotisations
sociales dans le financement de la protection sociale, qui pèsent sur le
coût du travail et donc la compétitivité. Cela n’a guère de sens par exemple
que les cotisations employeurs finacent largement les prestations familiales. A
cet égard plutôt que de multiplier les dispositifs spécifiques (exonération de
charges sur les bas salaires ; crédit d’impôt compétitivité…) qui ont
chacun leurs effets pervers, il vaudrait mieux engager une réforme générale.
Nous en reparlerons.
Mais surtout il ne faut pas arrêter là l’analyse : la
France a une autre caractéristique dont on parle moins souvent : la part des
prélèvements obligatoires sur les revenus finaux (l’idéal utopique dont nous
parlions plus haut) y est plus faible que dans la plupart des pays
industrialisés. Le total Impôt sur le revenu et impôt sur les sociétés
représente chez nous environ 6% du PIB (10% si on y ajoute la CSG), à comparer
à 11% en Allemagne, près de 12 aux Etats-Unis, de 13 au Royaume-Uni…, de 30% au
Danemark.
Si donc s’il est prioritaire de baisser les charges
patronales, il ne l’est pas de diminuer l’impôt sur les sociétés. Sans doute ne
faut-il pas accroître son taux, facialement un des plus élevés de l’Union
Européenne ; mais on peut améliorer son rendement, nettement en dessous de
la moyenne européenne.
Quant à l’impôt sur
le revenu, même si cela est désagréable, il faut habituer les Français à l’idée
qu’il a, chez nous, un des plus faibles taux de rendement de tous les pays
industriels. Et cela vaut encore si on ajoute la CSG à l’impôt sur le
revenu ; alors que les taux affichés (ceux des barèmes) sont comparables à
ceux de nos principaux voisins européens, et nettement plus élevés, si on y
ajoute la CSG. Cela tient, chacun le sait au poids des exceptions,
exonérations, exemptions et autres niches. Les mesures prises ces derniers mois
n’ont pas bouleversé la situation ; elles n’ont pas non plus mis de la
clarté.
C’est à cela qu’il faut s’attaquer en priorité, en évitant
de « noyer le poisson » par des objectifs trop ambitieux, séduisants
à énoncer, mais qui ne seront pas réalisés. Ainsi en est-il de la fusion
CSG-IR : comment imaginer qu’on pourra dans un prélèvement plus large,
gommer les niches et autres exemptions auxquelles on n’ose pas toucher quand
elles concernent le seul impôt ? et comment mobiliser les Français sur cet
objectif de fusion, qui ne leur parle pas, alors qu’une réforme d’une telle
ampleur ne peut réussir que si elle suscite l’adhésion d’un grand nombre.
Le débat fiscal est dans notre pays « pipé »,
alors que toutes les informations sont facilement accessibles, et qu’on ne
compte plus le nombre d’études, rapports, recommandations.
Plus que dans tout autre domaine, il faudrait parler de la
réalité, avoir du courage et considérer nos concitoyens comme adultes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire