Le
débat fiscal est central dans la vie politique d’une démocratie. Il est
particulièrement urgent dans notre pays ; parce-que notre niveau de
dépenses publiques est très élevé, 56,4% du PIB en 2016, le plus élevé de
l’Union Européenne ; mais aussi parce que notre système fiscal est complexe,
peu cohérent, illisible et de moins en moins bien accepté par nos concitoyens, quel
que soit leur niveau de revenu.
Il
faut, bien sûr, faire attention aux comparaisons. Notre système de retraite
complémentaire, parce qu’il est national, est inclus dans les dépenses
publiques, à l’opposé de ce qui se passe dans de nombreux autres pays
européens. Aux Pays-Bas les prélèvements publics pour la retraite sont moitié
moindres que chez nous. Mais pour s’assurer une retraite correcte, les
Néerlandais consacrent plus de 6% du PIB à de la retraite privée. Au total les
dépenses de retraite sont très proches. Notre natalité est plus élevée que chez
nos voisins, ce qui entraine mécaniquement plus de dépenses d’éducation et pour
les familles. Le niveau de chômage pèse.
Il
y a aussi des biais comptables. Les niches fiscales, plus importantes chez nous
qu’ailleurs, sont souvent comptabilisées à la fois en dépenses et en recettes. En
2020, la suppression du CICE, remplacé par des abattements de charges, fera
mécaniquement baisser le niveau des prélèvements obligatoires et des dépenses
publiques d’environ 0,8 point de PIB.
Il
reste qu’en dehors de la retraite, qu’on peut considérer comme un revenu
différé, nos dépenses publiques, dépassent les 40% du PIB : la moyenne
européenne est autour de 36%, l’Allemagne est à35%.
Dés
lors se posent deux questions : peut-on les diminuer ? Comment les
financer ?
Un
point ne se discute pas. Il faut améliorer l’efficacité de l’action publique,
proscrire tout gaspillage, tout double emploi, exiger parfois des comportements
plus responsables. Nos concitoyens
seront plus enclins à payer l’impôt, s’ils ont le sentiment « qu’ils en
auront pour leur argent », que les deniers publics sont bien utilisés. Il
y a des marges de progression. Mais ne nous leurrons pas. Cela pourra permettre
une diminution de quelques dizaines de milliards d’euros, soit 1 à 2 voire
3 points de PIB. Ce n’est pas rien. Mais nous resterons à un niveau élevé.
Au-delà,
ce sont les types d’actions publiques qu’il faut interroger. Car les dépenses
publiques recouvrent des réalités très différentes : le financement des
services régaliens, armée, police, justice…; de services publics, éducation,
culture… ; l’intervention économique, aide à la recherche, infrastructures,
protection de l’environnement et développement durable… ; la mutualisation
de la prise en charge de certains risques, en matière de santé par exemple ;
l’aide aux plus pauvres, RSA, aide au logement…, qui d’ailleurs ne représente qu’une
part limitée du PIB (environ 4% ) et qui nous permet d’être dans l’union
européenne, 6e sur 28 en termes d’égalité de niveau de vie.
Peut-on
remettre en cause en profondeur l’une ou l’autre de ces dépenses ? C’est
un débat difficile. Mais ceux qui appellent à une baisse drastique des
prélèvements et des dépenses devraient reconnaître qu’une baisse très importante de nos dépenses publiques n’est possible
qu’au prix de modifications fortes de notre action publique et de notre système
social, d’autant plus que certaines situations pourraient appeler des
efforts renforcés : le mal logement, les banlieues, le vieillissement de
la population, le réchauffement climatique…
Ce qui est en jeu dans le débat sur les
dépenses publiques, au-delà de la nécessaire amélioration de leur efficacité,
c’est le niveau de solidarité publique que nous souhaitons.
Il
en est de même pour ce qui concerne les prélèvements. Si on s’en tient à la
fiscalité des ménages, l’essentiel des prélèvements, CSG, impôts locaux, taxes
sur la consommation, sont, au mieux, proportionnels aux revenus. Seuls l’IR est
progressif, mais son produit ne représente qu’une très faible part des recettes
publiques, 7% environ, à comparer à 25%en Allemagne. Et la fiscalité des
plus-values, qui sont une source de revenus très importantes pour les plus
fortunés, comporte de très forts abattements.
Les
impôts sur le capital sont plus élevés en proportion du PIB que chez nos
voisins (avec semble-t-il aussi un volume de capital possédé plus important,
rapporté au PIB). Ils ne représentent cependant qu’une part modeste des impôts.
Les plus gros postes sont la taxe foncière et les droits de mutation à titre
onéreux, qui touchent tous les propriétaires de leur logement. Le produit de
l’impôt sur les successions ne représentait en 2016 qu’environ 1% des
prélèvements obligatoires.
Cette
situation conduit tout à la fois au rejet de l’impôt par une part importante de
nos concitoyens, à la difficulté de financer les dépenses, d’où déficit et
dette publics et à la nécessité de montage alambiqués, par exemple la prime à
l’emploi, pour compenser les taxes et impôts payés par les titulaires de basses
rémunérations.
De
nouveau nous sommes confrontés à la question : quel niveau de solidarité souhaitons-nous pour la fiscalité.
Solidarité à l’intérieur d’une génération : c’est la question de la
proportionnalité ou de la progressivité de l’impôt ; solidarité de la
génération qui s’en va, vis-à-vis de celles qui suivent, en affectant une
partie de son patrimoine pour financer la dette qu’elle leur transmet. Ce sont
les choix à faire en matière de fiscalité des successions.
Ceux
qui s’inquiètent d’un niveau trop élevé de solidarité publique avancent deux
types d’objections.
D’abord
ils craignent qu’un niveau trop élevé de prélèvements et de dépenses publiques
nuise à la compétitivité. Cette crainte n’est pas corroborée par les faits. Le
Danemark qui a de fortes dépenses publiques (51,9% du PIB en 2017) et un impôt
sur le revenu extrêmement lourd a une économie très exportatrice et peu de
chômage. Si l’action publique est efficace, un haut niveau de dépenses
publiques n’est pas incompatible avec un haut degré de compétitivité. Et les
comparaisons sur le coût du travail n’ont guère de sens si on ne met pas en
parallèle la productivité du travail. Le corollaire d’un haut niveau de
dépenses publiques n’est pas la perte de compétitivité, mais l’exigence absolue
d’une action publique efficace,
Une
objection plus lourde est qu’un niveau élevé de prélèvement inhibe la capacité
d’entreprendre, de créer, de se mobiliser dans son travail. Ceux qui proposent
une baisse drastique des prélèvements, la mise en place d’un impôt sur le
revenu proportionnel, soutiennent, avec de bons arguments, que c’est l’espoir
de gain individuel qui fonde la motivation au travail et la prise de risque,
permettant ainsi la création de richesses. Et c’est vrai que voir 30 ou 50% de
son revenu, en sus des cotisations retraite, partir en prélèvements, ne va pas
de soi. En même temps chacun connaît l’énergie et l’intelligence que peuvent
développer des infirmières, des agents de maintenance de lignes électriques,
des chercheurs, des fonctionnaires…, en contrepartie d’une rémunération
modérée. Et le niveau de rémunération n’est pas un indicateur pertinent de la
contribution de chacun à l’économie et à la société.
En outre une partie des
revenus, notamment parmi les personnes qui reçoivent les plus élevées, est plus
la conséquence d’un héritage ou d’une rente (foncière, immobilière…) que d’une
prise de risque ou d’un travail d’une valeur exceptionnelle. Aujourd’hui 66% du
patrimoine est hérité (47% en 1980).
Ce n’est pas un débat
technique, ni même les modèles des économistes qui permettront de fonder les
choix en matière de fiscalité et de dépenses publiques. Car ils traduisent, en
définitive la place qu’une société veut accorder aux biens publics,
aux services publics, le degré de solidarité publique qu’elle souhaite mettre
en œuvre, le niveau d’inégalité dans les conditions de vie qu’elle est prête à
accepter.
La primauté donnée à la
réussite et à l’enrichissement individuels, à la consommation de biens et
services personnels pousse à la diminution des dépenses publiques et des
solidarités collectives ; avec dans nos pays européens le maintien d’un
filet de sécurité minimal pour les plus pauvres. Mais, à l’inverse la montée
des inégalités de revenus et de patrimoine invite à plus de solidarité. Et le
réchauffement climatique met en lumière notre interdépendance et donc la
nécessité d’un engagement collectif pour y faire face.
Sommes-nous
disposés à une fiscalité plus solidaire,
pour permettre le maintien d’un haut niveau de services publics et d’une
forte solidarité publique. Peut-on conserver une économie dynamique si une part
croissante de nos gains et de notre patrimoine, en fonction de leur niveau,
contribue au bien public par l’impôt sur le revenu ou la fiscalité des
successions. C’est de cette façon qu’il faudrait poser le débat fiscal en
France et plus encore en Europe, car il est difficile, c’est vrai, d’être
solitaire en cette matière. L’air du temps ne s’y prête pas. Mais y renoncer
peut nous conduire à un très sombre avenir.
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